La Petite Science-fiction illustrée

 

C’était une commande, à la fin des années 1970, pour une dizaine de très courtes nouvelles devant être publiées pendant 10 semaines d’été dans un magazine. Ces nouvelles devaient illustrer les grands genres de la Science-fiction classique, et donner quelques orientations de lecture.

 

 

Texte de présentation :

Drôle de bazar, la Science-fiction, drôle de fourre-tout, puisqu’elle recouvre tout aussi bien L’Homme invisible que Le Seigneur des anneaux, Superman et Gulliver, La Guerre des Étoiles et même La Flute Enchantée de Mozart. Comment s’y retrouver ? Allons, ce n’est pas si difficile. Tentons, déjà, une définition :

« La Science-fiction, c’est un genre littéraire, ou artistique (n’oublions pas le cinéma ou la Bande-Dessinée), qui consiste à développer d’une manière romancée (fiction) une ou plusieurs hypothèses, considérées dans leur logique interne (Souvent futuriste. Parfois scientifique, mais pas toujours. »

Oui ? Mais encore ? En fait, tout se passe comme si un écrivain de S-F s’amusait à se poser des questions irréalistes, et écrivait des livres pour y répondre. « Que se passerait-il si ?... » Que se passerait-il si j’étais invisible, par exemple ?... Et si des extra-terrestres débarquaient ?... Que se serait-il passé si Hitler avait gagné la guerre ? Comment sera le monde dans 2000 ans ?...

Etc.

En fait, tout est possible dans la S-F, parce qu’on peut toujours se poser de nouvelles questions.

Bien entendu, et comme partout, il y a du bon et du moins bon. Il y a quelques dizaines de romans exceptionnels, quelques centaines de bons livres, et… le reste. Alors le fait de prendre un livre au hasard risque de conduire à la déception. On est par ailleurs plus ou moins réceptif à tel ou tel genre, et il vaut mieux bien tomber… Oui ? mais comment ?

Pendant dix semaines de vacances, nous vous proposons dix petites séquences, qui vont illustrer pour vous différents genres en Science-fiction. Elles n’ont pas d’autre prétention que de vous faire sourire. Puissent-elles vous faire découvrir en même temps quelques auteurs, et éveiller votre curiosité. Alors attachez vos ceintures ! Et en route pour le monde des possibles !...

 

EXTRAIT

11 juin 1948.

La théorie ne m’est plus d’aucun secours. Les expériences sur les rats de laboratoire sont significatives : il se passe quelque chose. Mais quoi ?

J’ai voulu être seul afin de poursuivre en toute quiétude. J’ai renvoyé mes assistants dans leurs foyers sous prétexte de vacances, ne gardant que William qui m’est utile dans mes manipulations. Le pauvre garçon n’a d’ailleurs aucune famille et aucun endroit où aller.

16 juin.

La perception. La perception, terra incognita négligée autant des philosophes que des physiciens ! La clé de l’énigme est là, dans la perception qui semblerait donc régler l’ordre du Temps. J’en ai maintenant l’intime conviction. Mais je n’aborderai la phase d’expérimentation qu’avec une infinie prudence.

Manfred est venu frapper à ma porte. Je lui ai fait répondre que j’étais malade, dépressif, que je ne voulais voir personne. Il pouvait le croire et j’espère qu’il en a tiré quelque honte pour les humiliations que lui et ses semblables m’ont infligées durant toutes ces années. Je ne pense pas qu’il me relance de sitôt.

19 juin.

J’aborde les expériences. Il me faut un très gros effort sur moi-même pour garder une certaine acuité dans mes observations. Cependant, mon impression de ralentissement est nette, très nette. J’obtiens de bons résultats avec un mélange de solanées, Jusquiame (hyosciamus piger L.) et Pomme épineuse (datura stramonium), mais je ne suis pas satisfait des dosages.

28 juin.

Au début, les séances me fatiguaient beaucoup, et j’en sortais grelottant de froid malgré la douceur de la saison. Je supporte mieux les expérimentations maintenant si ce n’est qu’il me faut manger plus qu’à l’accoutumée ; je dépense une étrange énergie. Mais la réussite se fait attendre.

30 juin.

Enfin ! Audaces fortune... ! Et c’est le hasard encore une fois qui aura contribué à ma réussite. J’avais gardé d’une expérience ancienne un peu de peyotl au fond d’un creuset, que j’ai mélangé par erreur à mon dosage habituel de solanées. Lorsque je m’en suis rendu compte, il était trop tard. Et je tremblais du résultat, malgré la faiblesse de la dose, quand je regardai ma montre. À l’évidence, elle était ralentie, alors que le ressort était remonté à fond.

Une mouche entra par la fenêtre. Je la vis venir, et même la scrutais de près : elle semblait voler lentement, avec un mouvement tout à fait visible des ailes. Je fis un geste pour la balayer de la main ; elle ne tenta de s’esquiver qu’au dernier moment, avec une lenteur tout à fait inhabituelle. Je réalisais qu’à ses yeux, je devais m’agiter d’une manière frénétique et beaucoup trop rapide pour elle. Je tuai l’insecte sans vraiment le vouloir, et le vit amorcer une lente courbe vers le sol. Victoire ! Je touche au but !...

1er juillet.

William, mon garçon de laboratoire, se drogue. Triste remerciement pour le geste généreux que j’avais eu de le recueillir ! C’est une constatation que j’aurais pu faire plus tôt, mais je n’avais pas fait le rapprochement entre le désordre de la collection d’hallucinogènes et l’attitude incohérente de William. Je lui ai fait la leçon, mais je n’ose le renvoyer dans une Institution charitable pour le moment car il en sait trop sur mes travaux.

3 juillet.

Il me faudra bien trouver le courage de sortir au dehors, d’affronter les rues de Londres nanti de mon nouveau pouvoir ! Car c’est un véritable pouvoir !

Avec une dose d’1,8 gr ce matin, alors que je me livrais à différentes expériences, je voulus prendre un chronomètre dans ma chambre. William se trouvait derrière la porte du laboratoire, accroupi à la hauteur du trou de serrure. Il m’épiait ! De fureur je le giflai, en me blessant la main car son visage était dur comme du bois. Il n’eut guère de réaction, sinon que je vis ses pupilles s’écarquiller lentement, et je n’eus pas la patience d’attendre la suite. En fait, le coup l’assomma, et il en garda la mâchoire douloureuse.

Avec 1,8 gr mon stylographe, lâché au-dessus de la table, descend avec une extrême lenteur. Le métronome du piano est encore plus lent, et je n’entends plus son tic-tac qu’à grand-peine, comme un bourdonnement sourd.

6 juillet.

Le temps s’arrête !... À 2,4 gr, le métronome est parfaitement immobile. Je suis sorti dans la rue. Tout était figé à l’arrêt ou dans le mouvement. Quelle impression étrange ! Je prends garde à ne pas faire de mouvement brusque, de peur d’enflammer mes vêtements comme cela a failli m’arriver dans l’escalier.

Irai-je plus loin ? Que faire de ce nouveau pouvoir ? Dois-je divulguer ma découverte ? Je ne puis oublier le mépris de mes collègues quand ils ont su la direction que prenaient mes recherches.

(De temps en temps)

 

EXTRAIT

L’homme prit pied sur un ponton à la base de l’un des piliers d’acier. Il portait une courte armure d’écailles et brandissait une épée de belles proportions. Les gardes le laissèrent s’approcher puis ils lui coupèrent la retraite avec un mouvement tournant. L’homme engagea fièrement le combat, mais quand il vit qu’ils ne cherchaient pas à le tuer, il laissa retomber son bras. Les gardes le dépouillèrent de ses armes et de sa cotte d’écailles. Il n’avait pas exprimé un seul mot et se laissait faire maintenant sans résistance.

Une forte escorte le conduisit à la salle du trône où Antinéa, assise avec une feinte nonchalance, le regarda attentivement.

– Je me suis laissé capturer, cria-t-il, mais je vais maintenant recouvrer ma liberté !... Car tel est mon bon vouloir !

Et les gardes, les ministres, les serviteurs et toutes les personnes présentes s’écroulèrent sans vie.

Le don ! s’exclama Antinéa. Tu possèdes le don !!...

Et maintenant je vais te tuer ! rugit l’homme.

Antinéa répondit d’un rire sauvage.

Cela n’est pas sûr ! Je ne sais par quel prodige tu possèdes le don des reines de Seaworld, mais il ne peut rien contre moi. Quand à me tuer, il te faudrait d’abord combattre, mon ami, et je suis de taille à te résister !

Saisissant à deux mains l’épée d’un garde mort, elle l’abattit sur l’homme qui n’eut que le temps d’esquiver la trajectoire foudroyante. Lui aussi se saisit d’une épée qu’il fit tournoyer dans ses mains puissantes.

D’autres gardes étaient accourus, mais la vue de leurs camarades morts suffit à tempérer leurs ardeurs ; ils trouvèrent bon de ne pas intervenir dans un premier temps. La fille d’Antinéa, habituellement confinée dans ses appartements, était également arrivée ; tout aussi belle que sa mère, elle était également capable de tuer par la pensée.

Antinéa attaquait et tout allait très vite. L’homme para le deuxième coup, le troisième, recula jusqu’au mur de la salle. Antinéa rugissait de plaisir et savourait sa victoire à l’avance. Son adversaire était pâle, étonné surtout de la vigueur de la reine, mais sa main ne tremblait pas. Il maugréa quelque chose, assura l’arme dans sa main. Antinéa s’élança. L’homme feinta et son épée partit comme la foudre droit au cœur de la reine. L’homme s’écroula. Son estocade n’avait rencontré que le vide. Mais l’épée d’Antinéa l’avait transpercé de part en part.

Il y eut un instant de flottement, des rires, des soupirs. Une odeur âcre flottait dans l’air, odeur de peur et de mort...

La reine se pencha sur l’homme expirant.

Qui étais-tu ?

Ton... fils. Le serviteur qui devait me noyer à ma naissance... a eu pitié de… Je...

Antinéa regarda sans ciller l’homme qui avait été son fils. Puis elle se releva.

Qu’on jette à l’eau cet homme qui a osé me défier !

Des gardes se précipitèrent, soulevant la lourde carcasse. Antinéa les suivit à l’extérieur, les regarda balancer le corps qui disparut dans l’abime. Elle s’approcha elle aussi du bord. A la surface de l’eau, un rond s’élargissait, et l’on distinguait encore la forme claire du corps en train de couler. Elle-même y lança l’épée rougie de sang qu’elle tenait toujours à la main.

– Quel était ce pressentiment, s’écria-t-elle, qui m’annonçait que ce jour était le dernier de mon règne ?

 

Antinéa avait-elle jamais tourné le dos à sa fille ?

Un poignard jaillit de la gorge de l’adolescente et tournoya vivement.

(Le rêgne d'Antinéa)