La Fabrique des boutons

 

Rufus Reinhardt est un astromathématicien de renom de l’université de Saclay. Saisi par un coup de foudre tardif pour Hermione, une collègue astrophysicienne, coup de foudre qui les surprend autant l’un que l’autre, ils continuent leurs existences de professeurs renommés, avec cependant ce bonheur nouveau en complément.

En une seule journée – la durée du roman –, leur vie va basculer. Un collègue de Rufus, Tim, les fait appeler en pleine nuit pour une urgence. Des recherches secrètes, menées depuis quelques années avec l’astrophysicien Akilé ont permis la découverte de « trous de vers » dans l’espace. Après différents tests, une astronaute, Lisa, a été envoyée pour quelques minutes dans la galaxie d’Andromède. Mais elle n’est pas revenue.

Une course contre la montre est engagée au cœur de la nuit. À la « Fabrique de boutons », l’ancienne usine transformée en centre de recherche, toute l’équipe s’active. On fait parvenir un message à Lisa, puis Walker, le second cosmonaute, est envoyé à sa suite. Le « voyage » de Lisa était déjà une incroyable aventure, son retour est un exploit et un immense soulagement.

Le retentissement, dès le petit matin, est planétaire. Dans l’équipe, il y a Karen, une communicante qui, avec Quatremer, le Directeur du projet, avait préparé toute la stratégie médiatique. L’équipe ignorée de tous est tout à coup sous les feux de l’actualité mondiale. Lisa est une héroïne planétaire. La conférence de presse, à l’Opéra Bastille dans l’après-midi, est un événement historique. Mais on ne dévoile pas un tel exploit scientifique, on ne réveille pas de tels enthousiasmes sans déchaîner des passions, des ambitions, des jalousies. Le soir-même, le centre de recherche est attaqué par des policiers du Raid.

 

La Fabrique de boutons se lit d’une traite. Une telle découverte est-elle possible ? Est-elle une porte ouverte sur le cosmos, sur des galaxies lointaines ? Le roman reste scrupuleusement dans les dernières hypothèses des astrophysiciens. Et il s’agit surtout d’une histoire de personnes, avec tout d’abord l’inoubliable Lisa.

Roman d’anticipation ? Un jour ou l’autre, un exploit scientifique bouleversera notre quotidien et les répercutions seront sans doute semblables à celles qui sont décrites dans La Fabrique de boutons, avec toutes les interrogations qui pourront se poser.

 

EXTRAIT

 

Il regardait des appareils un peu plus loin sur la table, éteignait et rallumait un récepteur. Quatremer arrivait vers eux.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– J’ai Walker dans le casque, dit Charlie, mais Juan ne l’a pas sur la console. Ça passe uniquement dans les enregistrements automatiques.

– Bon, c’est un problème mineur, on n’a pas le temps de s’occuper de ça, il faut y aller.

– Je voudrais dire un mot à Mélusine, dit Walker.

Hermione avait réveillé la petite fille, qui papillonnait des yeux en regardant la grande silhouette blanche.

– Attends, dit Charlie, je vais lui passer le casque.

Il le lui posa sur la tête, et elle plaqua ses mains sur les écouteurs trop grands.

– Whaou, Walker, tu es magnifique.

– Tu m’entends, Mél’ ?

– Oui, je t’entends, grand homme.

– Je vais chercher Lisa. Tu nous attends ici.

– Ah ah, très drôle. Mais s’il te plaît, Walker.

– Oui ?

– Surtout n’aie pas peur. Ça va être très noir et très froid, là-bas, et très triste, je sais, je l’ai vu dans mon rêve. Mais ne fais pas attention. Tu vas parler à maman et tu vas la rassurer. Et puis tu vas la ramener. Tu es mon héros, Walker.

– Merci, fillette. Sois forte, s’il te plaît.

– Ouais, t’en fais pas.

Il arrivait au pied de l’escalier. L’équipe s’était entraînée plusieurs fois déjà, mais jamais avec les poids supplémentaires. Charlie se mit d’un côté, Akilé de l’autre. Timothée et Ian se placèrent derrière, et Charlie relâcha lentement le câble qui soutenait le PLSS.

– Prochaine installation, grommela Timothée, un ascenseur !…

Ils gravirent tous ensemble une marche, puis une deuxième, puis les autres. Ils accompagnèrent Walker jusqu’aux bidons qui fumaient, l’aidèrent à s’accroupir, puis à allonger une jambe de chaque côté de l’amas de bidons. Charlie l’entendait respirer fort dans son casque.

– On est dans les temps, dit Cissy.

Mélusine s’était pelotonnée contre Hermione, qui avait aussi le bras de Rufus autour d’elle. L’équipe commença à redescendre, et Ian et Akilé se rendirent aux cordes. Quatremer fit signe à Charlie, qui lui passa le casque.

– Walker ?

– Oui ? C’est froid.

– Comment ?

– J’ai programmé le chauffage, mais ça tarde un peu. Je sens les bidons à travers la combinaison. Putain, c’est glacé.

– Ah oui, bien sûr. Walker, je voulais vous dire, au nom de toute l’équipe…

– Trois minutes ! cria Cissy.

On s’activait pour mettre le quatrième panneau en place, pour l’arrimer.

– Olivier, c’est très gentil, souhaitez-moi seulement bonne chance, et on se revoit dans dix minutes. J’ai une position épouvantable, l’autre truc me rentre dans les fesses, ces bidons sont glacés, j’ai mal au dos, vivement qu’on m’expédie là-bas.

– Walker, bon sang, il y a Karen qui filme, tu ne peux pas partir en disant que t’as un truc qui te rentre dans les fesses !…

Ils rirent tous et l’atmosphère se détendit un peu.

– Tu veux une grande déclaration, Olivier ? Les conseillers en communication de la NASA nous proposaient de belles phrases à placer au bon moment, mais ce que j’ai envie de vous dire, c’est très simple, je vais vous le dire, voilà.

– Eh, attendez, cria Charlie, Monsieur Quatremer, il n’y a que vous qui l’entendez !

– Mais vous l’enregistrez ?

– Oui, ça enregistre.

– Ça ira comme ça. Walker, qu’est-ce que vous vouliez nous dire ?

– Pourquoi ça ne marche pas ? s’étonna Granval.

– Ça arrive, dit Timothée, philosophe.

Granval le regarda avec surprise.

– Deux minutes !

– Oui, Olivier – Walker laissa passer un silence. Je voulais vous dire que j’étais fier d’être dans cette aventure. Que j’allais faire de mon mieux. Que j’allais ramener ma… ma collègue et amie Élisabeth Sarcelle (ils furent beaucoup à penser par la suite qu’il avait failli dire « ma blonde », ou quelque chose du même genre). Et nous devons continuer – un silence, encore. C’est une grande et belle aventure, une promesse pour le futur…

Cissy cria silencieusement : « Une minute ».

– …Vous savez, il n’y a plus tellement de grandes aventures, aujourd’hui. Les explorateurs d’autrefois affrontaient le cap Horn ou les 40e rugissants... Aujourd’hui, nous affrontons ces trous de ver, ces transferts… et les trous noirs. Peut-être que cette aventure-là n’aboutira pas à quelque chose de vraiment utilisable, mais c’est dans la nature des hommes que de relever des défis.

Il se tut un instant. Cissy levait les bras et déployait ses longs doigts. Ils se taisaient tous, fascinés, même s’ils n’entendaient rien. Walker marmonna encore :

– Bon sang, j’ai vraiment mal au dos. C’est une position tellement inconfortable. Heureusement, mon chauffage marche, maintenant.

Les doigts de Cissy se repliaient les uns après les autres. Il étreignit un peu plus fort les bidons givrés et disparut.