Il s’agit d’une famille, les Chasseigne, qui a la chance de bénéficier encore d’une maison familiale en Bourgogne, construite sur le domaine acquis à la fin du XVIIIe siècle par l’ancêtre François Chasseigne. Le domaine était surtout remarquable par son château, Mont-Doucy, mais le château a été détruit pendant les années révolutionnaires à cause d’une vague histoire de trésor. Les sans-culottes ont démonté le château pierre par pierre, sans découvrir, d’ailleurs, aucun trésor. Reste le site du château, la maison bourgeoise de l’autre côté d’un joli vallon, et quelques prés. Et les membres de la famille, génération après génération, se retrouvent presque tous les week-ends et pendant les vacances dans la maison familiale, qui n’est plus habitée en permanence, au moment où commence l’histoire, que par le vieil « Onc’Roland ».

Justine, 12 ans, qui est d’une branche « Barbier » de la famille Chasseigne, est collégienne dans la banlieue parisienne. Elle découvre début mai un vieux manuscrit et des papiers qui datent de « Grand-père Victor », le petit-fils de François Chasseigne, et de « Papy Martin », le petit-fils de Victor. Ces documents avaient été cachés dans une voiture de collection qui date de Papy Martin. Le dimanche suivant, Justine montre sa découverte à son cousin Valère, 17 ans, lequel va scanner les feuilles et tenter de les déchiffrer. Comme la famille a des difficultés pour payer les frais du domaine, et qu’il y a un débat pour savoir s’il faut vendre Mont-Doucy, personne ne fait attention à eux. Valère déchiffre le récit de la chasse au trésor du jeune Victor et de sa sœur Henriette, dans les années 1869-1870, mais le manuscrit ne dit pas s’ils ont trouvé le trésor, même s’ils semblent avoir percé l’énigme. Sept à huit décennies plus tard, Papy Martin a retracé l’essentiel de leurs recherches et reconstitué, au moins par ses dessins, le Mont-Doucy de l’époque.

Un acheteur se présente à la Pentecôte pour la propriété, mais la grand-mère de Valère, juriste, l’a vite percé à jour : c’est un escroc. Le lendemain, Justine et Valère montrent les documents à leurs mères, Lola et Ninon, et à Claude, un oncle cinéaste. Claude comprend très vite qu’il y a là une très bonne histoire à filmer et une occasion pour la famille de se tirer de ses ennuis financiers.

Claude trouve une maison de production. On réalisera même les séquences filmées des jeunes Victor et Henriette à la recherche du trésor en 1869. Un casting de jeunes comédiens est organisé. Une petite équipe commence à filmer la famille. Le tournage va se poursuivre pendant l’été, qui sera également ponctué par le mariage de Ninon et Cosimo. Justine a des ennuis dans son école, Valère passe son bac, il se déroule encore bien des choses avant l’installation à Mont-Doucy pour les vacances. Une cousine, Jade, a obtenu le rôle d’Henriette après la défection d’une première jeune comédienne. La maison familiale est maquillée pour ressembler à ce qu’elle était près d’un siècle et demi auparavant, des trucages faisant le reste.

Le tournage est riche en péripéties, seule Justine, peut-être, est encore à la recherche du trésor. Les quelques jours du mariage sont de jolis moments avec toute la famille rassemblée. Les producteurs ont des ennuis imprévus, mais Claude boucle son film à temps. On est persuadé à ce moment-là que le trésor est dans le petit cimetière, contre l’ancienne chapelle du château. La famille a fait des démarches officielles et le cimetière pourra être évacué en janvier.

Le documentaire passe en prime-time en novembre et fait un bon score. Une suite est prévue, avec, espère-t-on, la découverte du trésor filmée en direct.

Il fait très froid en ce deuxième week-end de janvier. La pelleteuse dégage avec précaution, une à une, les tombes. Une équipe de fossoyeurs sortent les dépouilles au fur et à mesure. Au milieu de la journée, le cimetière est nettoyé. Le trésor n’est pas là. La lame de la pelleteuse creuse encore, en vain. Seule Justine croit encore qu’un indice leur a échappé, que le trésor existe. Et ce n’est qu’en mars qu’elle aura la bonne intuition, lors une véritable transe, et que la famille rassemblée en catastrophe pourra constater que le trésor existait réellement. En mai, Justine dévoilera à Valère et à leurs deux mères le dernier secret, qui est en même temps le dernier renversement de toute l’aventure.

 

Histoire familiale, histoires d’amours, vies ordinaires et problèmes de tous les jours, et en même temps espoirs, complicités, repas joyeux en famille, le roman est tout d’abord un roman adolescent sur deux époques séparées de 150 ans, et un renvoi sans cesse au passé, à travers le trésor et à travers toute la saga familiale. Difficile, pour le lecteur, de ne pas s’intégrer lui-aussi au coeur de cette famille aux personnalités bien marquées, ou chacun aura ses préférences : les mères quadragénaires Lola et Ninon, cousines inséparables, la redoutable grand-mère juriste Bénédicte, la fine Jade apprentie-comédienne, l’adorable maquilleuse Alicia, le gentil Hugo, Valère le garçon calme, Axelle la métisse, et bien d’autres. Et surtout Justine, la gamine filiforme de 12 ans, trop sauvage, trop précoce, et certainement trop sensible.

Le Trésor de Justine reste un roman aux multiples entrées, plein de verve, qui fait une belle part aux adolescents mais qui explore aussi les non-dits et les relations quelquefois complexes dans les familles. La réalisation du film, que l’on vit de l’intérieur, est passionnante, et le mariage est un joli moment de bonheur. Mais le vrai trésor, qui est finalement sauvegardé, reste cette maison familiale d’une famille ordinaire française, dans une province toujours ancienne et pourtant contemporaine.

 

EXTRAIT

 

Georgine revint du garage dans son costume de servante. Claude recommença les explications. Les deux figurants supplémentaires allaient seulement donner de la vie à la scène : l’un descendrait en hâte le chemin derrière la chapelle, tenant sa veste au-dessus de lui, clopinant pour aller se mettre à l’abri. L’autre, sur la terrasse, fermerait maladroitement les volets.

On avait parqué les enfants Belhomme et Miklos avec des menaces de mort s’ils montraient le bout de leurs nez. Aurelle, Stéphanie, Bénédicte, étaient nerveuse. Aurelle avait le vieux sifflet de La Tapisserie, celui qui autrefois servait à appeler ceux qui étaient dans la nature quand il y avait un coup de téléphone pour eux.

Le ciel était en volutes grises et noires. Les cadreurs et les enfants se dirigèrent vers le cimetière bien agrandi. Landry avait arrangé la porte de la chapelle, qui paraissait moins ancienne. Il y avait maintenant de vrais coups de vent et les arbres étaient secoués, les branches se tordaient comme les voiles d’un navire.

Claude se mit en place sur la terrasse, avec sa caméra enveloppée. Il ne voyait guère l’image, mais il connaissait si bien sa caméra qu’il savait comment l’orienter. Il se garderait de changer le cadre, de toute façon. Les autres non plus, sauf Harry.

– Je n’ai jamais fait ça, dit Francette derrière lui. Mais c’est formidable !...

Les nuages défilaient au-dessus d’eux, le tonnerre grondait, les éclairs étaient sur toute la façade est. La masse de la pluie se devinait car elle faisait une vision brouillée à gauche de l’endroit du Club hippique. Claude pensait que c’était le moment, mais il laissa Aurelle en juger. Tout à coup, elle souffla de toutes ses forces dans le vieux sifflet d’arbitre. Puis les guetteuses coururent se cacher dans la maison.

Les enfants prirent leurs marques, puis avancèrent à grands pas depuis la limite extérieure du cimetière. On voyait un homme courir en hâte sur le chemin au loin.

– Nous devons rentrer, maintenant, cria Victor, en tenant son chapeau.

– C’est ici, dit Henriette, tenace. C’est bien possible que ce soit ici !... Tout-à-fait possible !...

– Mais toutes les tombes ont été fouillées !

Elle se planta, tout à son idée, entre deux tombes. Quentin la cadrait, et Mariana cadrait Victor. Une première volée de pluie les gifla. Un éclair illumina toute la vallée.

– Mais sous les cercueils ? cria-t-elle. Entre les tombes ? C’est si simple !...

Une bourrasque de pluie lui plaqua la jupe contre ses jambes et lui défit à moitié ses cheveux. Victor eut la surprise de voir le papier qu’il tenait dans la main s’envoler. Il renonça à le poursuivre, se tourna vers sa sœur et la saisit à bras-le-corps.

– Viens à l’abri !...

Il l’entraîna vers la chapelle, et elle tenait sa petite coiffe à deux mains, un peu effrayée, tout à coup. Le gros de la pluie arrivait, une nappe liquide qui tombait du ciel. Un éclair tomba vraiment très près, le coup de tonnerre claqua instantanément, et Claude se demanda tout-à-coup s’ils n’avaient pas pris un risque insensé. Il n’avait pas prévu non plus que Georgine se mette à crier, d’une voix suraigüe :

– Henriette ! Victor !!...

Il filma les enfants qui tentaient d’ouvrir la porte de la chapelle, mais elle était fermée. Alors ils se précipitèrent, se tenant par la main, sous les torrents d’eau. Un autre éclair montra Henriette tombant, Victor revenant pour l’aider. Ils remontaient péniblement sur la trace du chemin. Arrivés presque à la terrasse, ils firent calmement demi-tour, retournèrent à la chapelle. Quentin et Mariana couraient dans l’autre sens pour se mettre en place.

– Attendez… attendez... dit Claude à Francette. Attendez… Allez-y, maintenant !...

Georgine fit quelques pas et se montra. Elle était déjà trempée, et elle avait la cape sur le bras. Claude courait se mettre en position dans l’entrée de la maison. Il vit au passage une partie de la famille planquée dans la salle à manger, Timéo et Marion dans des genoux d’adultes. Il se préoccupa surtout de se mettre en place au pied de l’escalier, et il essuya soigneusement son objectif qui avait des gouttelettes minuscules.

Victor et Henriette repartirent, Henriette tomba presque au même endroit, Victor la releva, Georgine arrivait en courant à leur rencontre. Elle enveloppa vivement Henriette de la cape, lui passa un bras puissant autour des reins. Henriette riait. Victor fut gagné lui-aussi par le four-rire, ils arrivèrent à la terrasse, salués par un nouvel éclair, par un claquement terrible, et continuèrent, courbés, titubants, avec l’homme de charge en arrière-plan qui luttait contre un volet. Claude eut l’arrivée de l’équipée sauvage dans l’entrée, Henriette qui se laissait tomber à terre, dégoulinante, mais secouée de rire, Victor allant glisser le long du mur, et Georgine qui en arrivait à sourire elle aussi, malgré sa frayeur. C’était la dernière image, avec encore des éclairs dehors.

Édith arrivait déjà, relevait sa fille.

– Maman, maman, riait encore Jade, c’était drôle…

– Jade, mon Dieu ! Claude, tu es fou !... Exposer comme ça ces enfants…

Aurelle n’était pas loin de penser la même chose, mais elle savait, elle, que la scène allait être inoubliable.

– C’est vrai que vous êtes fou, lui dit Olivier en allant à lui et en lui posant une main sur l’épaule. Mais il souriait. Il ruisselait de partout et le sol était une mare.

– Liv’ ça va ? lui demanda sa mère.

– Très bien, maman, il y a longtemps que je n’avais pas ri comme ça !...

– Des serviettes ! Voilà des serviettes, clama Bénédicte, pragmatique. Déshabillez-vous !

– Non, pas ici, cria Claude. Dans le garage ! On ne peut pas être plus mouillés en traversant qu’on ne l’est déjà !...

Georgine fit demi-tour, prit par la main les enfants, Claude suivit, en protégeant sa caméra. Bénédicte, Aurelle, Stéphanie, puisaient en hâte dans la réserve des vieux parapluies. Valère et Justine arrivaient avec un grand plastique qu’ils avaient piqué dans la souillarde.

Dans le garage, Mathias avait allumé toutes les lumières. Les cadreurs étaient déjà là, trempé comme des soupes, mais souriants.

– Les caméras !... dit Claude.

On démaillota avec précaution les trois caméras sur la table à repasser.

– Ça va, pas de bobo, dit Mathias.

 

 

 

Le Trésor de Justine est publié sur Kindle (Amazon) en numérique et en livre.