CONTES

Histoire du Fouffi

 

Un petit renard des sables, un chameau à deux bosses, une mangouste qui n’a pas le sens de l’humour, et des serpents très savants.

 

 

Il était une fois un Fouffi

qui vivait dans un grand,

grand,

grand désert.

Au milieu du désert, il y avait un gros rocher, des cailloux, un trou avec de l’eau et de l’herbe piquante au bord de l’eau.

Le désert était jaune, l’herbe était jaune et l’eau du trou aussi ; seul le rocher et les cailloux étaient gris. Le Fouffi était jaune comme le désert, avec sur le ventre une tache grise comme le rocher, dont il était très fier.

Le Fouffi habitait un terrier creusé sous une dune, un terrier ordinaire mais tout-à-fait confortable. Il y faisait bien chaud quand les nuits étaient froides, et bien frais dans la journée au moment des grandes chaleurs.

En dehors du Fouffi, il n’y avait presque personne dans ce grand désert : il y avait une Mangouste, des serpents et des souris. Et aussi des fourmis, des scorpions, des araignées et toute sorte d’insectes, mais qui n’avaient aucune importance.

Seuls la Mangouste et les serpents avaient de la conversation. Les souris également avaient de la conversation, mais comme le Fouffi les mangeait, il ne pouvait pas discuter avec elles. Restaient la Mangouste et les serpents.

Mais la Mangouste mangeait les serpents, ce qui compliquait les choses ; elle ne pouvait pas non plus discuter avec eux. Alors, pour le Fouffi, il fallait choisir :

– Ou bien être ami avec les serpents et ne pas parler à la Mangouste.

– Ou bien être ami avec la Mangouste, et ne pas parler aux serpents.

Or, le choix était facile. Les serpents de ce désert étaient des personnages très sérieux qui aimaient par-dessus tout discuter de logique, de philosophie et de métaphysique. Alors que la Mangouste était quelqu’un de très amusant qui savait jouer à des jeux passionnants comme le Jeu des dix-sept dunes, le Jeu des Zigs-Zags, le Jeu Attape-mon-ombre ou le Jeu de l’Oreille-qui-dépasse.

C’est ainsi que le Fouffi était l’ami de la Mangouste et qu’il ne parlait pas aux serpents. De toutes manières les serpents mangeaient aussi des souris, ce qui faisait une sorte de concurrence. Heureusement, il y avait beaucoup de souris, assez peu de serpents, et un seul Fouffi.

...

 

Conte de Noël

 

La véritable histoire de ce soir-là, à Noël.

 

 

– Mon Dieu ! Mon Dieu !

On frappait à la porte de la salle de bain.

– Oui, entrez ! fit Dieu.

Un ange entra, en même temps qu’un courant d’air. L’ange était rose d’excitation.

– Ça y est, mon Dieu, ça y est !…

– Ah bien, voilà une excellente nouvelle. Mais ferme la porte, il y a un courant d’air.

– Oui mon Dieu, tout de suite. C’est Gabriel qui vient d’apporter la nouvelle. Il vous cherche, d’ailleurs. C’est moi qui me suis souvenu que vous vouliez prendre un bain.

– Bon, dis-lui de m’attendre dans le salon anglais, j’arrive. Ah, et puis convoque Tous-Les-Saints au patio pour huit heures, et trouve-moi l’Ange-Intendant, j’ai besoin de lui parler…

 

Quelques instants plus tard, Dieu sortit de la salle de bain, vêtu d’un grand peignoir rouge. Il paraissait d’excellente humeur et chantonnait en se tamponnant la barbe avec une serviette. Il trouva Gabriel dans le salon anglais, qui patientait en regardant les gravures.

– Alors, Gabriel ?

Gabriel se retourna d’un bloc, rayonnant.

– C’est un garçon, mon Dieu ! dit-il.

– Évidemment, fit Dieu, j’allais pas faire une fille. Comment ça s’est passé ?

– Le mieux du monde, dans une étable, comme vous l’aviez demandé. Le style « simple mais très propre ». Je m’étais occupé de tout, il n’y a eu aucun problème.

– Très bien. Est-ce qu’il est entouré ?

– Oui, j’ai fait venir des bergers qui avaient leur campement pas loin, et des gens du village. On se bouscule un peu, les bergers jouent de la flûte, il y a de l’ambiance.

– Hum... Et si tu essayais de faire venir deux ou trois têtes couronnées ? Des princes ou des rois, avec des cadeaux ? Ça ne serait pas mal, ça ! C’est le Fils de Dieu, après tout.

...

 

Dionysos

 

Le taxi grec les avait déposés au bout de la route qui montait, sur l’esplanade qui pouvait recevoir les cars de touristes mais qui était déserte. Ils retirèrent leurs masques de ces temps de pandémie et respirèrent l’air chaud. Un chemin montait vers l’amphithéâtre, assez large pour pouvoir se croiser. Le soleil donnait sur les pierres blanchies, sur les arbres rabougris aux petites feuilles sèches. En haut du chemin, il y avait quelques marches et on découvrait le théâtre circulaire de grandes et belles pierres, presqu’intact. La montagne continuait derrière.

– C’est beau, dit-elle.

Ils entrèrent dans le chœur circulaire, aux dalles lisses à peine fissurées. Il lui prit les mains et ils commencèrent à danser. Une musique s’éleva, une musique ancienne de trois accords, sur un vieil instrument. Ils tournaient lentement, un, deux, trois pas, une pause, un, deux, trois pas. Puis ils virent qu’ils n’étaient plus seuls.

– Vous dansiez pour moi ?

Le dieu était assis sur un tabouret, et s’appuyait le menton sur sa paume, sous sa barbichette.

– Oui, grand Dionysos.

– Continuez, continuez ! je sais qui vous êtes.

Puis au bout d’un instant, il dit :

– Vous avez quelque chose à me demander ?

L’homme réfléchit.

– Non.

Puis, comme le dieu le regardait avec curiosité, il précisa :

– Ce que je veux faire, je me bats pour le faire. Et ce que la vie ne m’a pas donné, je ne le désire pas.

– Tu ne veux pas la fortune ?

– Non.

– Tu veux connaître la vérité ?

– Humm, je préfère garder quelques illusions.

– Tu veux voir le beau ?

– Je le vois, parfois chez l’homme, chez les enfants, dans la nature et dans ce que l’homme parvient à créer.

– Tu veux vivre éternellement ?

– Je crois qu’il faut partir un jour. Si c’est au bon moment, tant mieux.

– Et la jeunesse ? Tu ne veux pas conserver indéfiniment ta jeunesse ?

– La jeunesse est une étape. La vieillesse est un accomplissement, pour ceux qui en sont capables. Tant que mon corps résiste, que mon esprit est clair, je ne me soucie pas de vieillir.

Le dieu eut un demi-sourire, puis il se leva, sur ses jambes de bouc, et s’approcha.

– Dansons, dit-il.

...