
J’ai eu envie de lire Rabelais (je ne vais pas dire relire, car, comme beaucoup d’entre nous, je n’avais lu jusque-là que quelques pages ou extraits). J’ai cherché des éditions. Il y en a de remarquables, du XIXe siècle, pas toujours facile à lire, car elles ont scrupuleusement conservé les mots anciens et les tournures de phrases. Il faut un glossaire pour les lire. La version Larousse du début du XXe siècle est plus abordable, mais j’ai découvert qu’elle était amputée des préfaces et de certains chapitres. Ensuite, les versions plus récentes m’ont effrayé : taillant dans le texte, elles aussi, elles sont par ailleurs expurgées des grossièretés, grivoiseries, plaisanteries salaces et autres scatologies. Les éditeurs scolaires étant les pires malfrats dans la dénaturation de Rabelais. J’ai eu l’idée de rétablir le texte initial, mais dans une version lisible sans glossaire ni dictionnaire de français ancien.
Dans quoi est-ce que je m’étais fourré ? Le texte de Rabelais est riche, complexe, quelquefois ambigu, avec les avis divergents d’érudits et de spécialistes. Je ne pouvais pas échapper à des recherches en profondeur, à des scrupules d’interprétation, à des choix. Ce n’était pas du tout l’agréable promenade de réécriture à laquelle je pensais. Je ne voulais d’ailleurs pas faire une réécriture en français moderne, ce que d’autre ont fait, trahissant le ton si particulier de Rabelais. Il m’a fallu louvoyer, traduisant si nécessaire des mots anciens, tout en en conservant certains, qui participent à la saveur du texte. Il m’a fallu mettre des notes explicatives, ce que je ne voulais pas faire au départ, mais qui me sont apparues nécessaires pour faire apprécier de nombreuses subtilités.
Je n’ai pas regretté ce travail laborieux d’érudition. D’abord parce qu’il m’a rapproché d’un auteur magnifique, généreux, étonnamment libre et inventif. Ensuite parce que la plongée dans la langue française ancienne est toujours passionnante et enrichissante. Enfin la présence presque constante des antiquités grecques et romaines m’a ramené à cette vieille passion pour la mythologie et les auteurs antiques.
Le résultat est ce qu’il est, restituant le plus honnêtement possible l’œuvre de François Rabelais, lui redonnant toute sa verve, en faisant partager le plaisir que j’ai eu dans cette entreprise tout à fait gratuite, mais qui m’a paru nécessaire.


