Gargantua

La Renaissance : période étonnante de toutes les nouveautés, l’imprimerie vient d’être inventée, les livres se multiplient et on redécouvre les auteurs grecs et latins. Christophe Colomb fait connaître un nouveau continent, de nouveaux peuples, les horizons reculent. La médecine, les sciences, puisent à nouveau dans le savoir des anciens. Léonard de Vinci est l’homme qui symbolise, plus que tout autre, cette époque de changement. Toutefois, il en est un autre, François Rabelais, moine, médecin, qui va briller par son érudition et ses nombreuses publications savantes. Mais si, aujourd’hui, ses écrits scientifiques et ses traductions sont tombés dans l’oubli, il reste de lui une prodigieuse œuvre satirique dans laquelle il déversait tout, des récits aventureux, des plaisanteries depuis les plus scabreuses, des digressions savantes ou philosophiques, des festins et des beuveries, abordant tous les sujets, en un kaléidoscope unique qui va inspirer toute la littérature et forger un nouvel esprit français.

Mais Rabelais souffre aujourd’hui de ne plus être un auteur populaire, par sa langue devenue difficile à lire, par de nombreuses versions tronquées et insipides. La présente édition le restitue dans un langage lisible, sans trahison, et dans un texte intégral.

Gargantua est le premier des cinq romans revisités : vous découvrirez la surprenante naissance du bon géant, son inventive jeunesse, ses études à la mode de l’époque puis selon de nouveaux principes, ses joyeuses interventions en justice, ensuite son retour au pays pour lutter contre l’invasion de l’armée de Picrochole, les combats fabuleux de Gymnaste, de Frère Jean, et la fondation, enfin, de l’abbaye de Thélème, séjour idéal pour les hommes de bonne volonté, les érudits, les femmes savantes et belles.

Le texte de Gargantua, illustré, est accompagné des notes nécessaires, et il est suivi d’une biographie et d’une présentation de cette nouvelle (et savoureuse) édition.

Finalement, ils arrivèrent à Paris, où Gargantua reprit des forces pendant deux ou trois jours, faisant bonne chère avec ses gens, s’enquérant des gens savants qui se trouvaient alors dans en ville, et quel vin on y buvait.

Quelques jours après qu’ils eurent repris leurs forces, il visita la ville et fut regardé par tout le monde avec une grande admiration, car le peuple de Paris est tellement sot, tellement badaud et stupide de nature, qu’un bateleur, un porteur de reliquailles, un mulet avec ses clochettes, un vielleux au milieu d’un carrefour, rassemblera plus de gens que ne le ferait un bon prédicateur évangélique.

Et ils le harcelèrent tant et si bien qu’il fut contraint de se réfugier sur les tours de l’église Notre-Dame. Installé à cet endroit et voyant tant de gens autour de lui, il dit d’une voix claire :

– Je crois que ces maroufles veulent que je leur paye ici même ma bienvenue et mon droit d’entrée. C’est juste. Je vais leur payer à boire, mais ce sera par ris !

Et alors, en souriant, il détacha sa belle braguette et, tirant à l’air sa mentule, les compissa si aigrement qu’il en noya deux cent soixante mille quatre cent dix-huit, sans compter les femmes et les petits enfants.

Quelques-uns d’entre eux échappèrent à ce pissefort en prenant leurs jambes à leur cou et quand ils furent au plus haut de l’université, suant, toussant, crachant et hors d’haleine, ils commencèrent à blasphémer et à jurer, les uns de colère, les autres en riant :

– Les plagues dieu ! Je renie dieu ! Frandiene vez tu ben, la merde, po cab de bious, das dich gots leyden schend, pote de christo, ventre Saint Quenet, vertuguoi, par Saint Fiacre de Brye, Saint Treignant, je fais vœu à Saint Thibaud, Pâques-Dieu, le bon jour Dieu, le diable m’emporte, foi de gentilhomme, Par Saint Andouille, par Saint Guodegrin qui fut martyrisé de pommes cuites, par Saint Foutin l’apôtre, par Saint Vit ! Par sainte Mamie, nous sommes baignés par ris.

Depuis, la ville en fut appelée Paris. On l’appelait auparavant Leukèce, comme l’indique Strabon, au livre IV, c’est-à-dire Blanchette, en grec, à cause de la blancheur des cuisses des dames du lieu. Et parce que, à l’imposition de ce nouveau nom, tous les assistants jurèrent par les saints de leurs paroisses respectives. Les Parisiens, qui sont faits de toutes sortes de gens et de toutes pièces, sont par nature de bons jureurs et de bons juristes, quelque peu imbus d’eux-mêmes, ce qui donne à penser à Joaninus de Barranco, libro de Copiositate reverentiarum, qu’on les appelle Parrhésiens en grec, c’est-à-dire « qui ont une grande gueule ».

Cela fait, Gargantua considéra les grosses cloches qui se trouvaient dans les tours, et les fit sonner bien harmonieusement. Ce faisant, il lui vint à l’idée qu’elles serviraient bien de clochettes au cou de sa jument, qu’il avait l’intention de renvoyer à son père toute chargée de fromages de Brie et de harengs frais. Et de fait, il les emporta en son logis.

Extrait de la biographie :

Mais la faculté qui était en pointe à l’époque pour les sciences médicales était celle de Montpellier, et Rabelais s’y rend en 1530. Ses connaissances en médecine devaient être déjà d’un excellent niveau, puisqu’aussitôt, le 29 octobre, il obtient le grade de bachelier. Il est étudiant, mais enseigne en même temps, les Aphorismes d’Hippocrate, l’Ars parva de Galien. Il assiste à des dissections, étudie également la botanique médicale. On sait également qu’il voyage, et qu’il joua dans une farce, La Femme mute, avec des amis étudiants.

Rabelais a 36, 37 ans, et c’est déjà un homme remarquable, brillant, savant, mais bon compagnon et d’un esprit joyeux. Il a aussi la bougeotte et le voilà en 1532 à Lyon, on ne sait guère pourquoi, où il s’installe pour 10 ans. Le 1er novembre, il est recruté comme médecin à l’Hôtel-Dieu de Lyon, où il exercera par intermittence.

Paris avait ses imprimeries, mais Lyon avait ses grands libraires, Gryphe, Juste, Nourry, et c’est peut-être en fin de compte ce qui avait attiré Rabelais à Lyon. Peu après son arrivée, il publie une traduction de lettres médicales, une autre des Aphorismes, et d’autres ouvrages, dont un almanach, des pronostics, et il participe sans doute à la réécriture d’un petit livret de colportage, Les Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua, pastiche des romans de chevaleries, avec exploits, dragons et géants. L’ouvrage, sans prétention, s’est pourtant bien vendu. « Il s’en est plus vendu en deux mois que de Bibles en neuf ans ». Rabelais avait-il besoin de cette motivation financière ? Rappelons que, si l’auteur touchait une sorte de forfait, c’est le libraire qui s’enrichissait quand le livre avait du succès. Mais le voilà qui entreprend en 1532 Les Horribles et espouvantables faicts et prouesses du très renommé Pantagruel, roy des Dispodes. Il signe prudemment le Pantagruel sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier, qui est une anagramme de son nom. Devant le succès, il poursuit en 1534 avec La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, qui reprend le personnage de Gargantua, mais dans un tout autre esprit. L’auteur, cette fois-ci n’est plus que M. Alcofribas.

La correspondance avec Érasme, dans cette période, montre par ailleurs que le docteur Rabelais est digne d’échanger avec les plus grands esprits de son temps. Notons la naissance énigmatique d’un enfant Théodule, Lugdunum patria, at pater est Rabelæsus, qui eut dès son berceau la visite de cardinaux. Il était sans doute promis à une grande destinée, mais il meurt à l’âge de deux mois. On n’en sait pas plus, sinon que Lyon était sa patrie, et Rabelais son père.

 

Gargantua est disponible sur Amazon en version numérique et en version livre broché.

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