Le Départ de Framboise

 

LE DÉPART DE FRAMBOISE

texte complet

 

PERSONNAGES

LAURE

BÉBERT

OLIVIER, un copain de classe de Laure et Framboise

FRAMBOISE

 

DÉCOR

Nous sommes chez Laure, et le décor peut être très simple, mais il y a au moins une table, quelques sièges. L’essentiel du sketch est surtout dans le jeu des comédiens.

Laure est assise, immobile, la mine sombre. Bébert entre, tourne autour de la table, ne sachant quoi dire ni quoi faire.

BÉBERT – Tu veux qu’on joue à quelque chose ? Heu, je ne sais pas, moi... tiens, tu veux qu’on joue aux échecs ?

LAURE – Non.

BÉBERT – Mais je te laisserai gagner !

LAURE – Non.

BÉBERT, qui soupire – Mais qu’est-ce que tu as ? Dis-le moi !

LAURE – Rien, laisse-moi.

BÉBERT – Écoute, je sais ce que tu as : tu es furieuse parce que Framboise s’en va.

LAURE – Mais non ! Je ne suis pas furieuse !

BÉBERT – Alors tu es mécontente.

LAURE – Je ne suis pas mécontente, je suis... je suis triste.

BÉBERT – Triste ? Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ?

LAURE – Hein ? (elle réfléchit) Oh écoute, Bébert, tu m’ennuies, va voir dans le dictionnaire.

BÉBERT – D’accord. (il sort. Laure reste un instant immobile, puis elle prend dans sa poche une lettre, qu’elle déplie lentement et relit. Bébert revient, guère plus éclairé)

BÉBERT – J’ai regardé dans le dictionnaire, mais je n’ai rien compris. Qu’est-ce que c’est, en fait, être triste ?

LAURE – Eh bien, on est triste, par exemple, quand on regrette quelque chose, surtout quand c’est quelque chose qui est fini, fini pour toujours...

BÉBERT – Alors tu es triste parce que Framboise s’en va ?

LAURE, avec un soupir agacé – Oui ! Voilà ! C’est ça.

BÉBERT – Mais vous étiez tout le temps en train de vous engueuler !

LAURE – Bébert ! Tu ne devrais pas dire des mots comme ça, c’est malpoli.

BÉBERT – De vous quereller, si tu veux ! De vous disputer.

LAURE – Ça ne me plaît pas, que tu dises des gros mots. Peut-être est-ce qu’il faudrait corriger ton programme ?

BÉBERT – Non non, s’il te plaît, on ne touche pas à mon programme ! On n’y touche plus. J’ai déjà été assez traficoté comme ça !

LAURE, qui ne l’écoute pas – On s’engueulait tout le temps, mais c’est normal, c’est parce qu’on s’aimait beaucoup. (elle reprend sa lettre)

BÉBERT – Tiens, encore un truc que je ne comprends pas bien : qu’est-ce que c’est que ce machin que t’as écrit, et que tu n’arrêtes pas de tripoter ?

LAURE – « Truc », « machin ››, décidément, ça ne s’arrange pas ! (il est en train de lire par-dessus son épaule) Ben te gêne pas ! Je t’en prie ! Mon pauvre Bébert, tu es incroyablement malpoli ! Je me demande si je ne ferais pas mieux de te renvoyer au professeur Carinatus !

BÉBERT – Tu ne peux pas, là la là, il est parti ! il est au Pôle Sud, quelque chose comme ça, pour observer les oiseaux !

LAURE – Ouais, tu as bien de la chance. (elle lui tend la lettre d’un geste brusque) Tiens, tu peux lire, si tu veux, c’est un poème que j’ai fait pour Framboise.

BÉBERT – Un poème ? (il regarde, admiratif) Ah bon... Alors c’est comme ça, un poème ? Ce sont les mots de la fin... la fin des mots de la fin qui se ressemble... C’est intéressant.

LAURE – Qu’est-ce que ça te fait, à toi, de voir partir Framboise ?

BÉBERT – Elle s’en va, elle s’en va, bon. Mais elle revient dans deux ans, non ?

LAURE, accablée – Deux ans ! C’est tout ce que ça te fait, alors ?

BÉBERT – Je vais lui faire un poème, moi aussi, pour son départ.

LAURE – Un poème ? Toi, Bébert ? (on sonne à la porte. Elle saute en l’air) Vite ! C’est elle ! Redonne-le moi ! (elle crie) C’est ouvert ! La porte est ouverte ! (entre Olivier, son casque de mob à la main, une serviette de bain sous le bras. Bébert s`éclipse)

LAURE, déçue – Ah, c’est toi ?

OLIVIER – Salut ! Oui, c’est moi. T’es pas prête ?

LAURE – Prête ? Pourquoi ?

OLIVIER – Pour la piscine.

LAURE – La piscine ?

OLIVIER – Oui, on devait aller à la piscine, tu as oublié ?

LAURE, précipitamment – Bien sûr que non, je n’ai pas oublié ! Mais heu, je n’ai pas vu l’heure passer. Écoute, je n’y vais pas aujourd`hui. Je ne me sens pas bien, je crois qu’il ne vaut mieux pas...

OLIVIER – Tu aurais pu me prévenir, quand même ! J’ai fait le détour pour te prendre. Si tu me l’avais dit, je ne serais pas venu pour rien.

LAURE – Tu as raison, excuse-moi...

OLIVIER – Bon, eh bien tant pis. C’est vrai que tu n’as pas bonne mine... Tu te soignes ?

LAURE – Oui oui.

OLIVIER – Tu veux que je passe te prendre demain ?

LAURE – Je ne sais pas, je te téléphonerai.

OLIVIER – D’accord. Allez, salut, peut-être à demain.

LAURE – Salut. (il sort. Laure se rassoit pesamment. Revient Bébert avec un papier à la main)

BÉBERT – J’ai composé un poème pour Framboise. Tu veux que je te le lise ?

LAURE – Oui, si tu veux.

BÉBERT, déclamant

C’est un poème pour ton départ,

J’ai le cœur gros comme un hangar.

Ça va être triste de plus te voir.

Du coup j’me r’mettrais bien à boire.

Qu’est-ce que tu en penses ?

LAURE – Je vais te dire, mon pauvre Bébert, ce que j’en pense, de ton poème : c’est nul, c’est pas poétique du tout, il n’y a même pas une rime alternée, c’est laid, c’est épouvantable, c’est monstrueux !

BEEERT – Vraiment ?

LAURE – Absolument ! Ça ne veut rien dire du tout. Écoute, va voir dans le couloir, sur les rayonnages, il y a plusieurs recueils de poèmes. Va voir ce que c’est que la vraie poésie !

BÉBERT – Ah bon, j’y vais. (il sort. Laure hausse les épaules. On sonne. Elle se précipite, revient avec Framboise, qui est en « habits de voyage ». Elles sont très émues toutes les deux, et ne savent pas quoi se dire)

FRAMBOISE – Eh bien voilà...

LAURE – Alors ça y est ?

FRAMBOISE – Oui, les dernières choses sont emballées… L’appartement est complètement vide. Ça me fait drôle. Il est déjà loué à d’autres gens. Je n’y retournerai jamais. Au fait, tu passeras prendre le poisson rouge ? Il est chez la gardienne.

LAURE – Oui oui, j’irai le chercher. Et ton avion ?

FRAMBOISE – Dans une heure et demie. On a juste le temps, ma mère est en bas, dans le taxi. Je lui ai dit que je te disais au revoir en vitesse, et on file.

LAURE – Tu m’écriras ?

FRAMBOISE – Bien sûr ! On va s’écrire ! On va s’écrire tout le temps. Mais tu vas me manquer.

LAURE – Toi aussi. Tu te rends compte, toutes ces années qu’on aura passées ensemble ? Tout ce qui nous est arrivé ?... Et maintenant, on ne va pas se voir pendant deux ans... On aura tellement changé quand on se reverra...

FRAMBOISE – Mais non ! Et puis, il faudrait que tu essaies de venir, pour les vacances, l’an prochain.

LAURE – C’est tellement loin...

FRAMBOISE – Allez, il faut que je m’en aille.

LAURE – Tu ne veux vraiment pas que je t’accompagne ? Jusqu’à l’aéroport ?

FRAMBOISE – Non, ça serait trop triste. Je préfère te dire au revoir ici. À toi et à Bébert. Où est-ce qu’il est, celui-là ?

BÉBERT, qui arrive avec papier, crayon – Je suis là ! Bonjour, Framboise ! J’étais en train de faire de la poésie pour toi. Mais c’est pas fini, alors je t’enverrai tout ça par la poste.

FRAMBOISE – D’accord. Merci, Bébert... Je voudrais tellement rester avec vous deux, mais c’est normal que je suive mes parents, non ? Allez, je m’en vais, parce que je crois que je vais pleurer... Salut Bébert, prends bien soin de ma copine. (à Laure) Bonsoir, toi. Je t’écrirai dès que je serai arrivée. Allons, du courage ! De nous deux, c’est toujours toi qui a été la plus forte !

LAURE – Oui oui... (Framboise l’embrasse vivement et se sauve, laissant Laure immobile. Un temps. Noir. Quand la lumière revient doucement, Laure est assise à la table et écrit à Framboise. Deux jours se sont passés. Laure a, par exemple, une coiffure différente, ou un vêtement)

LAURE, ou sa voix enregistrée – Ma chère Framboise. Ça fait deux jours maintenant que tu es partie. Ça me fait drôle. Je suis tout le temps en train de te chercher, d’avoir un truc à te dire, de vouloir te téléphoner. C’est des réflexes idiots, comme ça, et puis je me dis : mais non, elle est partie... Je ne m’y suis pas encore faite. Personne n’a eu l’air de remarquer spécialement ton absence. C’est un peu triste. Sauf Olivier, hier, à la piscine, qui a dit en blaguant : « Bon débarras ! ›› C’était pour rire, mais je lui ai collé une tarte et je l’ai poussé à la flotte. Je crois qu’il regrette un peu, parce qu’il n’a jamais été aussi gentil avec moi... (Framboise est venue elle aussi s’asseoir avec une lettre)

FRAMBOISE, ou sa voix enregistrée – Salut Laure ! Comment ça va ? Moi je suis encore complètement crevée du voyage ! Et puis la chaleur ! C’est invraisemblable ce qu’il peut faire chaud ici. Hier je n’ai pas pu t’écrire : on m’a trimballée un peu partout, j’ai visité un tas de choses. J’ai vu le bureau de mon père, qui est très bien. Et le soir, on a dîné au restaurant, et j’ai mangé plein de choses que je ne connaissais pas. Mais je te raconterai tout ça en détail plus tard...

LAURE – Bébert s’est découvert une nouvelle passion, la poésie. Il n’arrête pas de faire des vers, maintenant. C’est rigolo, un robot poète. Et il ne dit plus un seul gros mot. Tiens, au fait, je t’en avais fait un, moi, un poème, au moment de ton départ. J’avais complètement oublié de te le donner. Je te le mets dans l’enveloppe, mais tu ne feras pas trop attention, c’est d’une tristesse épouvantable...

FRAMBOISE – Notre maison est assez grande, avec un jardin derrière, et un parc à trois cents mètres. Le quartier est très agréable, et il y a beaucoup de jeunes qui se retrouvent presque tous les jours ensemble. Ils ont été très sympas avec moi, pour que je ne sois pas dépaysée, et il y aura même une grande fête samedi en mon honneur...

LAURE –  J’ai une nouvelle un peu triste à te dire : je suis allée chercher ton poisson rouge ce matin, mais ta concierge avait mis sans réfléchir le bocal au bord de la fenêtre, en plein soleil... Quand je suis arrivée, ton poisson flottait le ventre en l’air...

(Bébert s’est avancé lentement, jusqu’à l’avant-scène, tandis que les deux filles poursuivent en silence leur correspondance. Il tient un papier à la main, et va s’adresser doucement aux spectateurs)

BÉBERT –

Nous grandirons un jour et nous nous quitterons

Au prix de quelques larmes, de chagrins, de tristesse.

Pour celle qui part, la vie reprend, mais l’autre reste,

Le cœur à l’abandon.

Leur amitié s’étire, bornée de lettre en lettre

Et parfois se mûrit, et parfois se défait.

Les photos sont étranges, avec de nouveaux traits

Qu’on peine à reconnaître.

Nous retrouverons-nous, peut-être un autre temps ?

Avec des yeux nouveaux, je te verrai nouvelle

Et reviendra peut-être, plus entière et plus belle,

Notre amitié d’antan ?

Je vous regarde, pauvre Bébert, et je vous aime.

Moi qui ne suis qu’un jouet de votre adolescence.

Et n’ai pas trouvé mieux, pour clore cette séance,

Que ce simple poème...

 

FIN

 

 

Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.

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Les représentations données gratuitement sont libres de droits. Si elles sont payantes, une déclaration est nécessaire à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), avec le paiement de droits (minimes). Les sketches sont déjà enregistrés à la SACD, et la procédure est simple.

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