Une Mission extraordinairement cosmique

 

UNE MISSION EXTRAORDINAIREMENT COSMIQUE

Texte complet

 

PERSONNAGES

LÉO et LÉA, en shorts, tee-shirts et baskets.

LE COLONEL-CHEF

Le PIRATE DE L’ESPACE

L’lND1GÈNE INOFFENSIF

LE PIONNIER

L’INDIGÈNE MENAÇANT

Ces cinq personnages peuvent être joués, en fait, par deux comédiens.

 

ACCESSOIRES

Une petite table ordinaire, deux tabourets, une carte routière, un aspirateur, un calendrier des postes, un sèche-cheveux, un album de Mickey, un volume des « Écrits » de Jacques Lacan (ou tout autre livre de philosophie), un balai (ou un mini-vélo), un jeu de cartes, deux passoires en plastique, une casserole, un détecteur subluminique d’appels au secours X.T.207.

 

Léo et Léa sont assis à la table et s’ennuient. Léo lit Mickey, Léa se gratte les genoux, les mollets, en bâillant. Ils ont l’air mous, fatigués, pas tellement intelligents. Le reste des accessoires est en tas derrière eux.

 

LE COLONEL-CHEF – La vie des Agents d’intervention, mesdames et messieurs, est une existence pleine de dangers, de fureurs. Regardez-les ! Ils se nomment Léo et Léa ! Ce sont des Agents d`Intervention ! Ils sont jeunes, courageux, intrépides, toujours prêts à s’élancer à l’autre bout du cosmos dès la première alerte ! Ils sont la Fierté de notre univers, la Sauvegarde de notre société ! Quel métier difficile, mais quelle vaillance ! Quelle abnégation ! (Il siffle un grand coup dans ses doigts)

LÉO – Ah merde, une urgence.

LÉA – Encore ?... On peut pas rester tranquille cinq minutes ? Qu’est-ce qu`on fait ? On se cache ? On fait comme si on était pas là ?

LÉO – C’est trop tard, voilà le Colonel-Chef. Bonjour, chef.

LÉA – Salut.

LÉO – Fait beau, hein ?

LE COLONEL-CHEF – Agents Léo et Léa ! Vite ! Préparez-vous ! Un appel au secours qui vient d’arriver au Central ! Décollage immédiat !

LÉO – Mais heu, j’ai un rhume qui...

LÉA – Moi c’est les genoux...

LE COLONEL-CHEF – Ah ah ah, toujours le mot pour rire ! Quel sang-froid ! Quel humour ! Mais ne perdons pas de temps ! C`est un pionnier de la planète Baltimore qui vient d`envoyer un S.O.S. Il est encerclé par un Indigène Menaçant. Vite vite, vous n’avez pas de temps à perdre !

LÉA – Bon bon...

LÉO – Ça va, ça va. on se prépare...

Le Colonel-Chef sort en écrasant une larme.

LE COLONEL-CHEF – Quel héroïsme.

Léa et Léa se lèvent péniblement, prennent la table qu’ils mettent à l’envers. C’est le Vaisseau Spatial, dans lequel ils mettent les tabourets, les accessoires. Puis ils prennent place et Léo empoigne l ‘aspirateur comme un manche à gaz. Léa prend le calendrier des postes (petits chatons ou chiots sur fond rose, de préférence).

LÉA – Prêt pour la Check-List ?

LÉO – Ouais, vas-y.

LÉA – Tabourets ?

LÉO – O.K.

LÉA – Propulsion ?

LÉO vérifie que la prise de l’aspirateur est bien branchée – O.K.

LÉA – Accessoires ?

LEO, jetant un coup d’œil derrière – Tout y est.

LÉA – Météo ?

LÉO – Passages pluvieux après dissipation des brumes matinales. Belles éclaircies.

LÉA – Taux actuariel brut ?

LÉO – 64,22 %.

LÉA – Lacets de Baskets ?

LÉO, regardant leurs pieds – Ça va.

LÉA – Bien brossé les dents ce matin ?

LÉO – Ouais ouais.

LÉA – Lave partout ?

LÉO, avec un regard faux – Ben ouais !

LÉA – Bon, alors on peut y aller. (la Check-List pourrait durer indéfiniment. Comme chacun sait, elle est absolument indispensable avant n ‘importe quel décollage)

LÉO – Attention... Trois, deux, un...

LÉA – C`est parti !

Léo met en route l’aspirateur, et les voilà tous les deux écrasés par l’énorme pression du décollage. Puis ils virent, en se penchant dans les virages. En bouchant plus ou moins le tuyau d’aspirateur, Léo doit pouvoir obtenir d’intéressantes variations de bruit.

LÉA – Oh là... Doucement, hé !

LÉO – C`est de quel côté, la planète Baltimore ?

LÉA – Comment, tu ne sais pas ?

LÉO – Ben non.

LÉA – Tu décolles, comme ça, comme un malade, sans savoir où tu vas ?

LÉO – Hé ! Ho ! C’est toi qui me guides, non ?

LÉA – Arrête, alors, on va regarder sur la carte. (Léo arrête le moteur. Léa prend la carte, qu’elle déplie) Voyons voyons...

LÉO – Baltimore... Ça doit être dans ce coin.

LÉA – Mais non, pas du tout ! Tiens, regarde, c’est là !

LÉO, rigolant – Eh bien on était partis complètement dans l`autre sens.

LÉA – Allez, repart.

Mais le Pirate de l’Espace vient d’entrer en poussant des rugissements de sioux et en chevauchant son mini-vélo ou son balai. Il se met à tourner autour du Vaisseau Spatial à toute vitesse.

LÉO – Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?

LÉA – Un Pirate de l’Espace !

LÉO – Un Pirate de l’Espace ! !

Le Pirate au passage donne des coups de pompes dans la table, et balance des mandales aux deux passagers, qui se coiffent vite des passoires pour se protéger.

LÉO – Aïe aïe aïe !

LÉA. ~ Ouïlle ouïlle ouïlle ! Mais démarre, qu`est-ce que tu attends, crétin ! Démarre !

Léo démarre le moteur, et l’on voit le Pirate de l’Espace essayer de les suivre, par derrière. Mais il semble reculer, et finit par disparaitre. Son petit moteur chimique ne peut pas rivaliser avec la Propulsion atomique des engins du Service d’intervention.

LÉA, qui regarde derrière – Ça va, il est distancé.

LÉO – Hé hé hé, son petit moteur chimique ne peut pas rivaliser avec la Propulsion atomique des engins du Service d’intervention ! (il tient son aspirateur avec une fierté accrue. Mais tout á coup, le moteur a des ratés. Il suffit que, dans les coulisses, quelqu’un joue avec la prise de courant)

LÉA – Qu’est-ce que c’est ?

LÉO – Qu’est-ce qui se passe ?

LÉA – Le moteur a des ratés !

LÉO – C’est l’autre zouave qui a dû abîmer quelque chose !

Le moteur s’arrête. Silence. Le Vaisseau Spatial dérive encore sur quelques dizaines de milliers de kilomètres, puis s’arrête. Encore un silence.

LÉO – Eh bien, tu vois ce qui te reste à faire ?

LÉA – Quoi ?

LÉO – Sortir pour aller réparer.

LÉA – Pourquoi moi ?

LÉO – C’est ton tour.

LÉA – C’est mon tour ?

LÉO – C’était chacun son tour. La dernière fois c’était moi. Cette fois c’est ton tour.

LÉA – La dernière fois, c’était au sol !

LÉO – M’en fiche, ça compte quand même.

LÉA – T’es sacrement gonflé !

LÉO – C’était convenu comme ça. Si tu veux revenir sur ce qui était convenu...

LÉA – Non, je ne veux pas revenir sur ce qui était convenu ! Mais je te trouve sacrément gonflé !

LÉO – Mais enfin ! C’est chacun son tour ! Comme la dernière fois c’était...

LÉA – Ça va ça va, j’y vais. (elle se lève) Il y a des moments où je me demande ce que je fais avec un pourri comme toi. Il y a des moments où je me dis que j’aurais pu faire un métier tranquille, comme ma frangine qu’est secrétaire au Ministère des Anciens Combattants Galactiques, parce qu’alors là, côte tranquillité dans le boulot...

LÉO – Tu te dépêches ? Plus vite on aura fini, plus vite on sera rentrés... Y`a un Spiderman à la télé, ce soir, oublie pas.

Léa se lance dans l’espace avec des gestes gracieux. Elle flotte un instant autour du Vaisseau, examine un peu tout. Puis elle prend le fil électrique de l ‘aspirateur et commence à le suivre. Pendant ce temps-là, Léo a repris subrepticement son Mickey.

LÉA – Je crois que j’ai trouvé ! Il y a un faux contact dans la prise du fil de la rallonge !

LÉO – Eh ben, qu`est-ce que t’attends pour la réparer ? On ne va pas y passer la nuit !

LÉA – Je vais bien la renfoncer, et ça devrait marcher. (elle le fait. Léo s’apprête à remettre le moteur en marche) Eh ! Attends au moins que je sois revenue ! Tout de même ! (elle revient lentement et se rassoit) Ouf ! Quand je pense qu’il y a des gens qui ne rêvent qu’à ça, de se promener dans l’espace, je leur laisse la place ! Fissa, bien volontiers !...

LÉO – Allez, c’est reparti.

Il remet en route. Tout marche comme il faut. Pendant un certain temps, ils circulent en silence, regardant vaguement le paysage, comme s’ils étaient en voiture. À un certain moment, ils sont légèrement secoués sur leurs sièges, comme sur une mauvaise route de campagne.

LÉO – C’est plein d’astéroïdes, par ici.

LÉA, qui consulte la carte – C’est la prochaine à droite. (ils tournent. Elle cherche du regard, trouve, montre du doigt) Tiens, regarde, c’est là.

LÉO – Bon, où est-ce que je me pose ? C’est la jungle, là-dessous.

LÉA – Continue, le signal vient d’un peu plus loin. (elle a consulté le détecteur subluminique d’appels au secours X.T.207. Attention : à proximité d’une planète, ne pas oublier de mettre le bouton sur « détection en fonctionnement rapproché ») Là, regarde, il y a une clairière, pose-toi là.

LÉO – O.K.

Ils virent, descendent, se penchent en avant, se stabilisent, se préparent au léger choc de l’atterrissage. C’est un bel écrasement brutal qui les projette tous les deux hors de leur siège.

LÉA – Nom de Dieu de Putain de Bordel de Merde ! Tu ne pourrais pas apprendre un jour à te poser correctement ?! C’est vraiment pas la peine d’être pilote de première classe pour faire des atterrissages comme ça !

LÉO – Je fais ce que je peux, putain ! Je voudrais t’y voir !

LÉA – Pilote de mes fesses !

LÉO – Tais-toi, y’a quelqu’un. (c’est l’Indigène Inoffensif qui a été attiré par le bruit de l’atterrissage et les éclats de voix. Il a l’air assez stupide. Léo et Léa se relèvent, se massant les régions endolories)

LÉO –- Attention, méfions-nous : c’est peut-être un Indigène Hostile ! C’est peut-être l’Indigène Hostile qui a attaqué le Pionnier ! Passe-moi une arme ! (elle lui tend le sèche-cheveux, qu’il s’empresse de brandir devant lui) Que dit le détecteur ?

LÉA, prenant le détecteur – C’est pas lui. Lui, c’est un... Un Indigène Inoffensif.

LÉO, rassuré – Ah bon, nous allons essayer de l’interroger habilement. Dites-moi, mon brave, hé ! jolie région que la vôtre !... Dites-moi, auriez-vous rencontré, par hasard...

L’INDIGÈNE IN0FFENSIF – Louyou i nouvi lou boulou ha ? Nou vigoua vloup irouti.

LÉO – Allons bon, il ne parle pas comme tout le monde ! Où est-ce qu’on est tombé, encore ? Toi pas comprendre quand moi parle ? Toi comprendre ?

L’INDIGÈNE IN0FFENSIF se tord de rire – Viboula tagaga ! Viboula tagaga a i lou keponic !

LÉO – Attends un peu, je vais voir s’il est dans le lexique. Toi attendre. Pas bouger. Moi voir dans gros livre très savant. (il prend le livre de Lacan, commence à chercher dedans. L’Indigène est très poli et sourit aimablement)

L’INDIGÈNE IN0FFENSIF – Ou la la boulou lou sapaja té roupic ?

LÉA – Alors, tu trouves quelque chose ?

LÉO – C’est vraiment pas clair, ce bouquin, j’y comprends rien du tout. En tout cas, il n’y a rien sur les dialectes de la planète Baltimore.

LÉA – De toute façon, on n’a pas besoin de lui, on a le détecteur !

LÉO – Ça vaut rien, ce lexique. (l’Indigène essaie de lire avec lui) Ben, faut plus se gêner !... (à Léa) Qu`est-ce qu`on en fait ?

LÉA – On n’en a pas besoin. Chasse-le. Il nous embête.

LÉO – T’as entendu ? Vas-t-en ! Toi t’en aller ! Partir ! Bouh ! Ouahh ! (il lui fait d’horribles grimaces. L’autre recule, effrayé, et se sauve) Vraiment des sauvages, par ici. Allons-y. Tu as le Détecteur ? Passe devant, je te couvre. (on choisira comme accessoire le Détecteur subluminique portatif. L’autre est vraiment trop volumineux)

LÉA – Non, toi.

LÉO – Quoi ?

LÉA – Toi.

LÉO – Quoi, moi ?

LÉA – Toi. Passe devant, toi.

LÉO – Pourquoi moi ?

LÉA – C’est chacun son tour, la dernière fois, c’était moi, maintenant c’est toi.

Léo grommelle quelque chose, mais préfère ne pas insister. Armé du sèche-cheveux, pas rassuré, il se met en route. Léa le pousse un peu pour lui donner du courage. Lentement, Léo descend de la scène, s`aventure dans la Salle Hostile et Menaçante. À chaque geste, à chaque rire du public, il s’immobilise et brandit nerveusement son sèche-cheveux. Dans un tel environnement, la progression est terriblement éprouvante. Léo et Léa ne disent pas un mot, mais ils tremblent et transpirent à grosses gouttes. Ils vont traverser lentement la salle, passer éventuellement dans les rangs, atteindre le fond, progresser, revenir par l’autre côté. Il y aura des zones infestées de moustiques, d’autres peuplées d’odeurs aussi étranges que suspectes. Pendant ce temps, le Pionnier et 1'Indigène Hostile s’installent à l'avant-scène. Ils sont en train de jouer à la belote. L’Indigène ne risque pas de gagner : il tient ses cartes à l'envers, les figures tournées vers le Pionnier. Ce dernier aperçoit tout-à-coup les deux agents.

LE PIONNIER – Ah ! Enfin ! C’est pas trop tôt ! Vous y avez mis le temps ! J’aurais pu me faire tuer cent fois ! Ah il est beau, le Service d’Intervention, ah il est efficace ! Mes compliments ! Comme ça au moins, on sait pourquoi on paie des impôts !...

LEO, nerveux, qui ajuste l'Indigène – Tout va bien ? Vous n'êtes pas blessé ?

LE PIONNIER – S’en est fallu de peu ! C’est que ce coco-là avait vraiment l’air menaçant ! Mais quand je me suis vu encerclé, et que personne ne venait à mon secours, je me suis dit : allez, Alonzo Martinez... – c'est mon nom –  je me suis dit : Alonzo Martinez, à toi de prendre ton destin en main ! J`ai proposé à Toto, là, de régler ça entre hommes, en faisant une petite belote ! Je lui ai appris les règles, et ça marche ! Cet idiot joue comme une savate ! J’ai déjà gagné sa casquette (la casserole, sur sa tête), ses huit femmes, et la moitié de la planète ! Alors vous voulez que je vous dise ? Vous feriez mieux de nous foutre la paix, de vous en aller et de nous laisser bien tranquille ! Surtout que j'ai du jeu ! Non mais sans blague !...

Il hausse les épaules, abat une carte. L'Indigène hésite en regardant le dos de ses cartes, en choisit une. Avec un ricanement féroce, le Pionnier ramasse le pli. Se sentant de trop, Léo et Léa font un petit bonsoir poli de la main, et repartent (par la salle) l’un derrière l’autre. Le Pionnier et l’Indigène disparaîtront avant qu’ils ne reviennent au Vaisseau Spatial.

LÉA – Eh bien voilà...

LÉO – Voilà voilà voilà...

LÉA – Voilà voilà voilà voilà...

LÉO – Eh oui. (il reprend place dans le Vaisseau)

LÉA – Du moment qu`on fait son travail...

LÉO – Et tant qu’on a la santé…

LÉA – L’essentiel, c’est que ça se termine bien...

LÉO – Eh oui.

LÉA – Quand tout le monde est content...

LÉO – Le chef en saura rien, d’ailleurs...

LÉA – C’est bien comme ça...

LÉO – C’est le résultat qui compte.

LÉA – Allez ! On rentre.

LÉO – Encore une mission qui se termine !

LÉA – Rondement menée !

LÉO – Victorieuse, comme d’habitude !

LÉA – Vive le Service d’Intervention !

LÉO – Vive les Agents !

LÉA – Devoir accompli !

LÉO – Et maintenant...

LÉA – En route…

ENSEMBLE – EN ROUTE POUR DE NOUVELLES AVENTURES !...

Léo met le moteur en route, et ils entonnent avec des voix tonitruantes l’Hymne de la « Guerre des étoiles ».

 

 

Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.

Les représentations données gratuitement sont libres de droits. Si elles sont payantes, une déclaration est nécessaire à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), avec le paiement de droits (minimes). Les sketches sont déjà enregistrés à la SACD, et la procédure est simple.

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