Conseils à une jeune troupe

 

Ces quelques conseils figuraient en préface du recueil « L’Île au champagne », publié en 1985 par la Librairie Théâtrale.

 

 

CONSEILS À UNE JEUNE TROUPE

 

Jouer un texte de théâtre, ne serait-ce qu'un simple petit sketch, ne peut se faire à la légère. Il faut pour que tout soit réussi qu'une centaine de petits détails soit au point. Mais il suffit d'une erreur pour que l'ensemble en pâtisse. Voici donc quelques conseils, qui vous aideront dans votre entreprise !

Ayant toutes choses, il vaut mieux faire le point :

COMBIEN ÊTES-VOUS ?

Qui a vraiment envie de jouer ? Ne forcez personne, vous aurez toujours des problèmes. Comptez-vous et faites un projet avec le nombre que vous êtes. Si vous êtes nombreux, essayez de faire en sorte que tout le monde joue, en choisissant plusieurs petits sketches, par exemple. Une personne peut éventuellement prendre en charge les problèmes techniques, et s'y astreindre. Dans tous les cas, il est bon que les décisions se prennent ensemble, et que l'on cherche à préserver un bon esprit d'équipe.

DE QUOI DISPOSEZ-VOUS ?

C'est l'un des points délicats. Même le sketch le plus simple (et les sketches de ce recueil sont conçus pour demander le minimum de moyens) nécessite quelques accessoires, donc un peu d'argent. Faites le compte de ce dont vous pouvez disposer, voyez ce que vous pouvez obtenir gratuitement, ou emprunter, et... ne comptez que Sur cela.

Si vous êtes dans le cadre d'une école, d'une association, n’oubliez pas que vous pouvez éventuellement obtenir une subvention. Faites auparavant un projet clair et précis, et par la suite, justifiez toutes vos dépenses par des factures. N'attendez pas grand chose d'une vente de billets au spectacle. Mais vous pouvez tenter une formule de souscription, en vendant les places à l'avance.

CHOIX D'UN TEXTE

Il est plus honorable de bien réussir un petit texte, que d'échouer dans un grand. Alors, que votre ambition ne dépasse pas vos possibilités ! Autre chose : vous allez vivre avec ce texte durant des semaines ou des mois, choisissez quelque chose de vivant, dont vous ne vous lasserez pas. Vous pouvez envisager des remaniements, des coupures, s’ils sont nécessaires, mais limitez vos interventions : l'auteur en général sait ce qu'il fait.

Attention : si votre spectacle est destiné à être joué devant un public payant, et si le texte que vous avez envie de jouer n’est pas dans le domaine public (en gros, 70 ans après la mort de l'auteur), l'organisme qui présente le spectacle doit demander à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) l'autorisation de jouer le texte. Méfiez-vous, il y a des auteurs qui limitent les représentations de leurs œuvres. Et n’espérez pas trop passer au travers : la SACD a pour mission de veiller à ce qui se fait. Il est arrivé qu'une pièce soit bloquée au dernier moment, après plusieurs mois de répétitions. Mais si vous jouez gratuitement, ou dans un cercle restreint sans publicité extérieure, votre choix est libre.

Îl faut que chacun ait son texte marqué à son nom. Les comédiens soulignent leurs répliques, font des annotations.

S'il s'agit d'une traduction (Shakespeare, par exemple), ne sautez pas sur la première traduction venue. Il en existe d'excellentes, et d'autres qui sont épouvantables. Renseignez-vous, consultez les bibliothèques et les librairies spécialisées, faites des comparaisons.

RÉPÉTITIONS

Prévoyez de nombreuses répétitions. Il est toujours trop tard quand on réalise qu'il manquera huit ou quinze jours de travail. Le mieux est de faire deux répétitions par semaine, et vingt à trente répétitions minimum. Commencez par des « italiennes » assises, où l'on se contente de lire le texte, en ne craignant pas de reprendre deux fois, dix fois, vingt fois les passages délicats.

Pendant ce temps-là, réfléchissez ensemble à la mise en scène, aux effets, aux déplacements, etc. Notez tout.

N 'abandonnez les « italiennes » que quand chacun se sentira a peu près à l'aise dans son personnage. Vous pouvez alors commencer à bouger. C'est aussi le moment douloureux où il est nécessaire que tout le monde apprenne son texte. Vous avez fait toutes les corrections qui vous semblaient nécessaires, mais il vaut mieux, à partir de là, ne plus toucher au texte. Et ne laissez pas l'un des comédiens faire de l'à-peu-près, il perturberait tous les autres.

Il est rare que l'on puisse répéter à l'endroit où l’on va jouer. Définissez un espace de la même dimension et convenez de l'emplacement du public (n'oubliez pas de regarder le public, de s’adresser à lui. Examinez d'autres comédiens : vous constaterez que le plus souvent, ils s'adressent autant aux spectateurs qu'à leurs partenaires).

Déjà, dans les répétitions, donnez-vous à fond. Ayez de l'audace, du brillant. Méfiez-vous, tout de même, des gestes désordonnés. Chaque déplacement doit être justifié.

C'est dans cette période que doivent être mis au point décors, costumes, accessoires. Ne vous y prenez pas trop tard, et répétez le plus tôt possible avec les accessoires.

Il faut que le spectacle soit au point une quinzaine de jours avant d'être joué. Vous ne faites plus, alors, que des « filages » complets (tout sans interruption), si possible à l'endroit où vous jouerez, en costumes, lumières, etc. Demandez à quelques personnes de confiance d'assister, pour juger de l'effet obtenu, et pour vous habituer à jouer pour un public.

L'ENDROIT OÙ VOUS JOUEZ

Un vrai théâtre, c’est bien. C'est souvent grand, et il faut porter loin la voix, ce qui n’est pas toujours facile avec des p'tits poumons. Vous aurez probablement une salle vaguement polyvalente, avec une scène sans rideau et sans équipement. Il faudra faire avec. L'essentiel étant que les spectateurs soient bien assis et qu'ils soient « dans l'ambiance ». Si vous jouez dans un spectacle complet qui comporte d'autres manifestations, danse, musique, etc., essayez de faire une coupure, une présentation, une mise en condition.

À la fin de ce livret, vous trouverez un petit texte, Melpomène, qui a déjà servi pour l'introduction d'un spectacle.

ÉCLAIRAGES

En dehors d’une salle bien équipée, vous aurez de la peine à vous éclairer correctement. Si vous avez quelqu'un de compétent pour le faire, tant mieux. Sinon, réduisez vos efforts à l'essentiel : un éclairage unique, brillant, fort. L'emplacement idéal des projecteurs étant à 45° au plafond et sur les côtés. Si vous n’avez aucun matériel au départ, le mieux est de vous équiper en spots sur pinces ou lampes mobiles. C'est le moins onéreux et le plus efficace. Si vous n’avez même pas de supports, empruntez deux échelles que vous disposerez de part et d'autre de la scène. Mais attention aux bousculades !

FAITES DE LA PUBLICITÉ

C'est tout de même plus agréable de jouer devant un public nombreux. L'imprimerie est chère, mais vous devriez pouvoir vous débrouiller pour composer de jolis tracts, et faire faire des tirages. Si vous êtes en avance dans vos répétitions, c’est à ce moment-là qu’il sera appréciable d'avoir un peu de temps pour faire de la publicité.

Le théâtre, c'est aussi de la débrouille et du don de soi, des bouts de ficelle et des combines. Mais n'ayez aucune honte : tous les comédiens, toutes les troupes sont passés par là...

DERNIERS MOMENTS

Vous avez prévu un endroit (loges) où vous préparer. Méfiance : c’est malheureusement là qu'il y a des vols. Argent et affaires personnelles à l'abri ! Ne vous montrez pas avant de jouer.

Pour les aînés : évitez les cigarettes, et la bière qui casse la voix. Buvez du jus de citron à l'eau, et mangez plutôt après qu'avant.

Le trac ? Rien à faire.

 

Voila. Il ne vous reste plus que quelques minutes avant d'entrer en scène. Tout n’est peut-être pas parfait, mais vous aurez fait le maximum. Il ne reste plus qu à donner le meilleur de vous-même, à offrir aux spectateurs le résultat de vos efforts. Amusez-vous, si votre pièce est drôle. Souffrez, si elle est tragique. Un dernier mot ? Le seul mot d'encouragement qui puisse se dire : merde !