L’Afrique est morte ce soir

 

L’Afrique est morte ce soir est l’adaptation africaine de Who’s Afraid of Virginia Woolf, la célèbre comédie d’Edward Albee créée en 1962. Elle reste aujourd’hui l’une des plus grandes pièces de ces dernières décennies, mais également l’une des plus difficiles à jouer, car elle demande de véritables performances de comédiens. Les thèmes abordés, les conflits dans les couples, les enfants, les ambitions, les faux-semblants, les mensonges, trouvent une nouvelle résonnance dans le contexte africain, mais il s’agit surtout d’une comédie, en une nuit terrible, avec d’étonnants jeux de pouvoirs et une montée dans la violence qui va durer jusqu’à l’aube.

 

 

Il est 2 heures du matin dans une université privée africaine. Georges (professeur d’Histoire) et Martha (la fille du Président de l’Université) rentrent chez eux, de retour d’une soirée chez le Président, et ils ont déjà beaucoup bu. Comme d’habitude, ils se chamaillent et s’invectivent. Martha annonce qu’elle a invité pour un dernier verre un nouveau professeur et sa femme. Le jeune couple arrive, Nick et Chérie, lesquels se voient rapidement entraînés dans les jeux pervers du couple aîné. Georges tente de déstabiliser Nick, qui reçoit de son côté sans trop de déplaisir les avances de Martha. Chérie est trop saoule pour vraiment réaliser. Mais l’activité principale de Martha dans le premier acte consiste à humilier Georges, de toutes les façons possibles, devant leurs invités.

Au deuxième acte, les jeux deviennent plus cruels et plus violents. Les masques tombent, Georges confronte le jeune couple à ses mensonges. Martha séduit finalement Nick.

Le troisième acte est plus court et signe la vengeance de Georges, dans un dernier jeu poussé à son paroxysme.

 

EXTRAIT

 

Martha Jésus ! Hey, vous avez joué au football, non ?

Chérie Chéri ?

Nick – Hé ? Oh, oui… J’étais… attaquant. Mais j’ai surtout fait… de la boxe.

Martha – De la boxe ? Tu entends ça, Georges ?

Georges Oui, Martha.

Martha Vous avez dû être sacrément bon !… Je veux dire, vous n’avez aucune marque sur le visage, ni rien !

Chérie  Il était Champion Universitaire poids léger !

Nick Chérie…

Chérie – Mais c’est la vérité !

Martha – Vous semblez avoir conservé un bon physique, non ? Vous avez conservé la forme ?...

Georges Martha, la moindre décence…

Martha Ah, ferme-là !... Alors, c’est le cas ? Vous vous maintenez en forme ?

Nick  Pour ça, oui. La pleine forme. Je me maintiens.

Martha Tiens donc !

Nick – Ouais.

Chérie – Oh oui… il a… vraiment la forme.

Martha Mon Dieu. Oh, je trouve que c’est vraiment formidable.

Nick Eh bien on ne sait jamais…  Vous savez… quand on conserve la forme…

Martha – …on ne sait jamais à quel moment ça peut être utile...

Nick – Non, je veux dire, pourquoi laisser tomber tant que vous êtes en forme ?

Martha – Je suis on ne peut plus d’accord avec vous.

Georges – Martha, tu dépasses les bornes de l’obscénité.

Martha – Georges, doucement, tu ne piges rien à ces histoires de forme physique. N’est-ce pas, mon cœur ? Georges n’est pas très heureux quand on parle de muscles. Vous savez, le ventre plat, les pectoraux…

Georges – Voulez-vous faire une promenade autour du jardin ?

Chérie – Comment ?

Georges – Une promenade. Autour du jardin.

Chérie Oh, vous savez…

Georges  La discussion ne vous ennuie pas ? D’accord.

Martha – Le bonhomme que voici n’est pas très heureux quand la conversation tourne autour de la forme physique… Combien pesez-vous ?

Nick – 76, 77…

Martha – C’est vraiment bien. Hey, Georges, raconte-leur le match de boxe que nous avons disputé !

Georges Mon Dieu !

Martha – Georges ! Raconte-leur !...

Georges Raconte toi-même, tu es très bonne pour ça.

Chérie – Il est… il va bien ?

Martha Lui ? Oui, très bien. Georges et moi nous nous sommes boxés… oh Seigneur, c’était il y a vingt ans... Deux ans après notre mariage.

Nick – De la boxe ? Vous deux ?

Chérie – Vraiment ?

Martha – Ouais… nous deux. Vraiment.

Chérie Je ne peux pas y croire.

Martha – Ben, comme je le disais, c’était il y a vingt ans, et ce n’était pas sur un ring, ou un truc comme ça, vous voyez ce que je veux dire. C’était pendant les dramatiques événements, et Papa était fana des histoires de forme physique. Papa a toujours admiré la forme physique... il disait qu’un homme n’est qu’en partie un cerveau... qu’il a un corps également, et qu’il a la responsabilité de les maintenir en forme tous les deux... vous voyez ?

Nick – Ha-ha.

Martha – Il disait que le cerveau ne pouvait pas travailler tant que le corps ne travaillait pas aussi.

Nick – Eh bien, ce n’est pas exactement…

Martha – Bon, peut-être qu’il ne disait pas tout à fait ça, mais quelque chose dans le genre. Alors voilà, c’était les troubles, et Papa s’est mis dans l’idée que tous les hommes devaient apprendre à boxer, de la self-defense, si vous voulez. Je suppose que l’idée était que si le campus était attaqué, toute la Faculté pouvait résister à coups de poings et abattre l’ennemi. Je ne sais pas.

Nick – Je suppose que c’était surtout le principe de la chose…

Martha – Sans blague ? Dans tous les cas, Papa a rassemblé un petit groupe, un dimanche, et Papa a mis lui-même des gants. Papa est un homme robuste et… bon, vous voyez.

Nick – Oui… oui.

Martha – Alors il a demandé à Georges de boxer avec lui… eeeeeeet… Georges a refusé… Probablement de peur d’entacher leurs bonnes relations... D’entacher avec du sang.

Nick – Humm.

Martha – Et donc Georges a dit qu’il ne voulait pas, et Papa disait : « Allons, jeune homme… quelle sorte de gendre êtes-vous ? » et des trucs comme ça.

Nick – Mouais.

Martha – Et pendant ce temps-là, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça… j’ai pris moi-même une paire de gants… sans les lacer, vous voyez, juste comme ça, et je me suis plantée derrière Georges, juste pour déconner, et j’ai crié « Hey, Georges ! », et en même temps, j’ai lancé une espèce de droite, juste pour déconner, vous voyez ?

Nick – Hum-hum.

Martha – Et Georges a pivoté d’un coup, et il a tout pris dans la mâchoire. Bing !... alors que ce n’était pas intentionnel. Mais bon. BING ! En plein dans la mâchoire… Et il perdait l’équilibre… il a trébuché en arrière, et là, vlam, il s’est effondré... tout mou, dans un buisson de lauriers ! C’était terrible, vraiment. C’était drôle, mais c’était terrible. Je pense que ça a influencé toute notre existence par la suite. Je le pense vraiment ! C’est une excuse, en tout cas... C’est pourquoi il s’est enlisé, de cette manière... Pourquoi il n’est allé nulle part. Et c’était un accident… Un putain d’accident stupide !...