La Comédie des erreurs

 

Antipholus d'Éphèse et Antipholus de Syracuse, d’une part, et Dromio d’Éphèse et Dromio de Syracuse, d’autre part, sont deux couples de jumeaux qui ont été séparés dans leur enfance. Antipholus d'Éphèse et son valet Dromio arrivent à Syracuse sans savoir que son frère y habite. S’ensuivent une série de quiproquos, l’un étant pris pour l’autre successivement chez le maître et chez le valet. Il s’y ajoute les mésaventures du père et de la mère, avec de magnifiques retrouvailles finales.

 

 

La comédie des erreurs est une "jeune" pièce de Shakespeare. Abordant le domaine comique, l’auteur accumule les situations cocasses, les quiproquos, les jeux de mots. C’est une pièce courte, sans prétention, mais avec quelques scènes bien troussées. Le génie de Shakespeare est encore en construction. Curieusement, le personnage qu’il développe un peu plus que les autres, Antipholus d'Éphèse, se caractérise par sa violence et ses vices. Shakespeare est-il encore influencé par son Richard III ? Il l’est en tout cas par la Comedia del arte, et il faut voir surtout La comédie des erreurs comme une farce bien mieux écrite que celles de l’époque, un exercice de style réussi.

 

 

Antipholus S – Retiens ta langue, bonhomme, mais dis-moi tout de même : qu’est-ce que tu as fait de l’argent que je t’ai remis ?

Dromio E – Oh ? Quoi ? les six sous que j’ai eus mercredi dernier, pour payer la repriseuse des bas de notre maîtresse ? C’est la repriseuse qui les a eus, monsieur. Je ne les ai pas gardés.

Antipholus S – Je ne suis pas d’humeur, Dromio. Dis-moi, sans détour, où est l’argent. Nous sommes étrangers ici, comment peux-tu te fier à quiconque pour garder une si grosse somme ?

Dromio E – Bon, de grâce, monsieur, plaisantez quand vous serez à table, bien assis. Je suis venu en courant de la part de ma maîtresse. Si je reviens sans vous, elle va me traiter comme le linge sale, à coup de batte. Il me semble que votre estomac, comme le mien, devrait vous servir d’horloge, et vous ramener au logis sans le besoin d’un messager !

Antipholus S – Allons, Dromio, allons, tes plaisanteries ne sont pas de saison. Garde-les pour un moment plus gai que celui-ci. Où est l’or que je t’ai confié ?

Dromio E – À moi, monsieur ? Mais vous ne m’avez pas confié d’or.

Antipholus S – Mon joli, mon joli, arrête un peu tes grimaces, et dis-moi comment tu t’es arrangé pour ce dont je t’ai chargé ?

Dromio E – Ma seule charge, monsieur, était de vous ramener depuis le marché jusqu’à chez vous, au Phénix, pour déjeuner. Ma maîtresse et sa sœur vous y attendent.

Antipholus S – Bien. Aussi vrai que je suis un chrétien, tu vas me répondre, et me dire où tu as placé mon argent ! Et sinon, je vais casser cette tête folle, qui veut blaguer alors que je ne suis pas disposé. Où sont les mille marcs que tu as reçus de moi ?

Dromio E – J’ai reçu quelques marques d’impatience sur ma caboche de votre part, j’en ai reçu de ma maîtresse sur mes épaules, mais le tout ne vaut pas mille. Et si je les rendais à votre Seigneurie, peut-être qu’elle n’apprécierait pas.

Antipholus S – Les marques de ta maîtresse ! Mais quelle maîtresse as-tu donc, faquin ?

Dromio E – La femme de votre Seigneurie, ma maîtresse, qui se trouve au Phénix. Celle qui jeûne jusqu’à ce que vous veniez déjeuner, monsieur, et qui vous prie de revenir au plus tôt pour vous mettre à table.

Antipholus S – Quoi ? Tu persistes à me narguer malgré mon avertissement ? Tiens, prends cela, monsieur le coquin !...

Dromio E – Eh ? Mais qu’est-ce que vous dites, monsieur ? Pour l’amour de Dieu, laissez vos mains tranquilles ! Ou sinon, moi je vais prendre la poudre d’escampette !...

Il sort.