Le Marchand de Venise

      

Bassanio qui a besoin d'argent pour prétendre à la main de la riche Portia, demande de l'aide à son ami, le marchand Antonio. Antonio veut bien l'aider, mais tous ses navires sont en mer, il est donc contraint d'emprunter 300 ducats à l'usurier Shylock. Seulement, Sylock déteste Antonio, qui prête sans intérêt, et il met en condition que, si le marchand ne rembourse pas, il payera d'une livre de sa propre chair. On annonce que les bateaux sont perdus et, quand Antonio se voit incapable de rembourser, Shylock tient sa revanche. Pendant ce temps, Bassanio réussit l'épreuve des coffrets, là où d'autres prétendants avaient échoué, et il épouse Portia. On leur apprend la terrible situation d'Antonio, et Bassanio se précipite à son secours. Mais Portia se rend elle-aussi à Venise, costumée en jeune juriste, pour tenter de sauver le marchand.

 

 

La comédie Le Marchand de Venise n'est quasiment plus jouée, de peur d'être taxée d'antisémitisme. Il faut ramener les choses à leur juste proportion. Oui, le juif Shylock est un usurier abominable, mais Shakespeare lui a écrit l'un des plus beaux plaidoyers sur la différence et la persécution. Et il ne s'est jamais privé de se moquer d'un Français, d'un Italien, d'un Espagnol, et même d'un Anglais. Le Prince de Maroc, dans la pièce est tout aussi caricatural. En fait, Shakespeare répondait à la pièce récente de Marlowe, Le Juif de Malte, qui était autrement plus chargée.

A côté de la Venise affairiste et brutale, il y a le monde à part du domaine de la riche Portia, où tout semble respirer la quiétude et le bonheur. Et Portia est l'une des premières héroïnes originales de Shakespeare, malicieuse, vive et décidée. On commence à voir la trame qu'affectionne le grand Will dans ses comédies, un dépaysement, un côté sombre, un côté joyeux, une jeune fille libre et un bon personnage comique.

 

 

Portia (déguisée) - Vous nommez-vous Shylock ?

Shylock - Je me nomme Shylock.

Portia - La demande que vous faites est d’une étrange nature. Mais vous êtes si bien en règle que la loi vénitienne ne peut pas faire obstacle à vos poursuites. (à Antonio) Vous êtes à sa merci, n’est-ce pas ?

Antonio - Oui, il le dit.

Portia - Reconnaissez-vous le billet ?

Antonio - Je le reconnais.

Portia - Il faut donc que le juif soit indulgent.

Shylock - Par quelle obligation ? Dites-moi.

Portia - L'indulgence ne se commande pas. Elle descend comme une aimable pluie du ciel. Elle est bonne pour celui qui donne et pour celui qui reçoit. C'est la plus haute qualité de celui qui est puissant. Elle honore le monarque sur le trône mieux que sa couronne. Le sceptre est l'attribut de la force et du pouvoir temporel, il inspire la crainte et la vénération, le respect de la majesté. Mais la clémence est au-dessus du sceptre, elle trône dans le cœur des rois, elle provient de Dieu même, et le pouvoir terrestre se rapproche d'autant de Dieu qu'il tempère la justice par la clémence. Ainsi, Juif, bien que ton argument soit la justice réfléchis à ceci, que dans le cours de la justice, personne ne trouve son salut. Nous prions pour de la clémence, et cette prière nous entraine à nous montrer tous un peu plus cléments. Je te parle ainsi pour tempérer la rigueur de tes poursuites, qui, si tu persistes, va obliger le tribunal de Venise à rendre d'après la loi un strict jugement contre ce marchand.

Shylock - J'assume toute ma demande ! Je réclame la loi, la pénalité, la clause de mon billet.

Portia - Est-ce qu'il ne peut pas rembourser l'argent ?

Bassanio - Si. J'offre ici devant la cour, deux fois la dette. Si cela ne suffit pas, je m'engage à payer dix fois la dette, en mettant comme dédit ma tête, mes mains et mon cœur. Et si cela ne suffit toujours pas... eh bien, cela montrera que la méchanceté l'emporte sur l'honnêteté. Je vous supplie, pour une fois, faites plier la loi sous votre autorité. Pour une la grande justice, faite une petite injustice, et forcer la volonté de ce cruel démon.

Portia - C'est impossible. Aucune autorité à Venise ne peut changer un décret établi. Un tel précédent ouvrirait la porte à de nombreux abus dans l'État. Cela ne se peut.

Shylock - Eh, c’est un Daniel qui juge ! oui, un Daniel ! Ô jeune docteur si sage, combien je t’honore !

Portia - Faites-moi voir le billet, je vous prie.

Shylock - Le voici, révéré docteur, le voici.

Portia - Shylock, on offre de te rembourser beaucoup plus que la somme.

Shylock - Un serment ! un serment ! J’ai fait un serment au ciel ! Est-ce que je dois mettre un parjure sur mon âme ? Non, pas pour tout Venise.

Portia - Eh bien ! l’échéance de ce billet est passée. Légalement, avec ceci, le Juif peut exiger une livre de chair, coupée par lui près du cœur du marchand. Sois miséricordieux, prends trois fois ton argent et dis-moi de déchirer ce billet.

Shylock - Quand il sera payé selon sa teneur ! On voit que vous êtes un juriste, vous connaissez la loi, vous avez très justement exposé le cas. Je vous somme de procéder, au nom de la loi, dont vous êtes le premier soutien, à l'énoncé du jugement ! Je jure sur mon âme qu'aucune personne humaine ne me fera changer d'avis ! Je m’en tiens à mon billet !

Antonio - Je supplie instamment la cour de rendre son jugement.

Portia - Fort bien ! le voici. Marchand, vous devez vous préparer à recevoir son couteau.

Shylock - Ô noble juge ! ô l'excellent jeune homme !