Hamlet

 

Après la mort du Roi du Danemark, son frère Claudius a pris le trône et épousé la veuve Gertrude. Mais le fantôme du Roi apparaît sur les remparts et annonce à son fils, Hamlet, qu’il a été assassiné. Hamlet doit le venger.

Hamlet cache cette révélation. Il a peur pour sa vie, et adopte un comportement excentrique. Claudius doute de cette nouvelle folie, et fait intervenir Ophélie, dont Hamlet est amoureux. Hamlet se montre toujours dérangé, mais il utilise le passage d’une troupe de comédiens pour faire jouer le meurtre d’un roi devant la cour. Claudius décide de le faire tuer en Angleterre où il l’envoie en ambassade. Hamlet dénoue le piège. Dans une dernière scène, Claudius utilise un excellent bretteur, Laerte, pour provoquer son neveu en duel. Et Laerte a empoisonné son épée.

 

 

Shakespeare avait sans doute la tentation d'écrire une Orestie, mais la représentation d'un épisode mythologique sur la scène élisabéthaine devait poser problème. En trouvant l’équivalence dans l’histoire du Danemark, pays proche, le récit devenait crédible. On sait que le texte a été retravaillée. Le monologue ne figurait pas dans les premières représentations, ni les reproches à la mère. Shakespeare n’hésite pas maintenant à aborder les grands sujets, et il sait que sa parole restera. Il travaille ce personnage indécis, explore ses doutes, jusqu’à ce que le destin le force à l’action. Il développe des scènes accessoires, dramatise la fin d’Ophélie, donne une première occasion à Hamlet de tuer Claudius. La pièce trouve son équilibre dans une avancée lente, sinueuse, entre les indécisions d’Hamlet et le poids de la culpabilité de Claudius qui va grandissant, mais qui l’enfonce dans le crime.

La pièce est rarement jouée dans son intégralité. On retient surtout les « grandes scènes », en perdant quelques nuances. Pour la première fois, le héros n’en est pas un. Il sait quel est son devoir, dicté par le spectre de son père, mais il tergiverse. Il lui manque une Électre pour le pousser à l’action. Il joue la folie, mais il y a un désordre en lui qui n’est pas que dans son jeu. En ce sens, la malédiction des Atrides pèse bien, également, sur la lignée danoise. Hamlet se débat, impuissant, dans un destin qui le dépasse.

 

 

Hamlet – Être ou n’être pas, c’est la question : Est-il plus noble pour une âme de souffrir les flèches et les coups d’une odieuse fortune, que de prendre les armes contre une mer de tourments et les combattre, les anéantir ? Mourir, dormir, rien de plus... et par ce sommeil mettre fin à la souffrance du cœur et aux mille blessures naturelles qui sont l’héritage de la chair, oui c’est un dénouement que l’on peut désirer avec ferveur. Mourir... dormir... Dormir, rêver peut-être ? ah, c’est le hic, car dans le sommeil de la mort, quelle sorte de rêves attendre, alors que nous serons débarrassés de cette agitation mortelle ? Cela mérite réflexion... C’est le genre de considération qui entretient le malheur d’une longue existence... Car enfin, qui voudrait supporter les tortures et les injures du temps, l’injustice de l’oppresseur, l’insolence de l’orgueilleux, les déchirements de l’amour dédaigné, les lenteurs de la loi, la morgue du pouvoir, et le mépris que souffre le patient mérite en provenance de personnes indignes, quand il pourrait lui-même y mettre fin, d’un simple coup de poignard ? Qui porterait ces fardeaux, et le poids d’une vie de sueur et de larmes, s’il n’y avait l’effroi de quelque chose après la mort, ce pays inconnu des limites duquel nul voyageur ne revient, pour troubler la détermination et nous faire préférer les maux que nous avons à cet envol vers d’autres dont nous ne savons rien ?... Cette considération fait de chacun de nous un lâche... La couleur naturelle de la détermination déteint à l’ombre pâle de la réflexion, et les projets de la plus haute volée, à cette idée, changent de cours et se perdent sans espoir de résolution... Mais attention ! La belle Ophélie ?... Nymphe, dans tes prières, souviens-toi de mes péchés.

Ophélie – Mon bon seigneur, comment s’est porté votre Grâce ces derniers jours ?

Hamlet – Je vous remercie humblement. Bien, bien, bien.

Ophélie – Mon seigneur, j’ai des souvenirs de vous que depuis longtemps il me tarde de vous rendre. Recevez-les maintenant, je vous prie.

Hamlet – Moi ? Non non, je ne vous ai jamais rien donné.

Ophélie – Mon cher seigneur, vous savez très bien que si. Et avec eux les mots étaient d’un souffle si doux qu’ils en étaient plus riches encore. Leur parfum perdu, reprenez-les... Pour un noble cœur, les riches présents perdent leur valeur, quand ceux qui donnent perdent leur bonté. Les voici, mon seigneur.

Hamlet – Ha, ha ! Êtes-vous vertueuse ?

Ophélie – Mon seigneur ?

Hamlet – Êtes-vous belle ?

Ophélie – Que veut dire votre seigneurie ?

Hamlet – Que si vous êtes vertueuse et belle, votre vertu ne devrait admettre aucune relation avec votre beauté !

Ophélie – La beauté ne peut-elle avoir, mon seigneur, une meilleure compagne que la vertu ?

Hamlet – Si, en effet ! Et le pouvoir de la beauté transformera bientôt la vertu en une sale entremetteuse, au lieu que la vertu ne transforme la beauté à son image : C’était autrefois un paradoxe, mais le temps en a apporté la preuve ! Je vous ai réellement aimé.

Ophélie – En effet, mon seigneur, vous me l’avez laissé croire.

Hamlet – Vous n’auriez pas dû me croire. Car la vertu, même greffée à notre vieille souche, n’était pas suffisante pour en renouveler la sève : je ne vous aimais pas.

Ophélie – J’en fus d’autant plus trompée.

Hamlet – Va-t’en dans un couvent ! pourquoi te mettrais-tu à enfanter des pécheurs ? Je suis moi-même à peu près vertueux. Et pourtant je pourrais m’accuser de choses telles qu’il aurait mieux valu que ma mère ne me mette jamais au monde ! Je suis définitivement vaniteux, vindicatif, ambitieux. Je pourrais faire sans réfléchir plus de méfaits que je n’ai de cervelle pour les méditer, d’imagination pour leur donner forme ou de temps pour les accomplir !... Pourquoi doivent exister des êtres comme moi, à ramper entre le ciel et la terre ? Nous sommes tous de fieffés coquins, Ophélie, ne te fie à aucun de nous ! Va droit dans un couvent. Où est votre père ?

Ophélie – À la maison, mon seigneur.

Hamlet – À la maison ?!... Qu’on le tienne bien enfermé, qu’il n’aille pas faire de sottises dehors ! Adieu !...

Ophélie – Oh, cieux cléments, secourez-le !

Hamlet – Si tu te maries, je vais te donner pour dot ce cadeau empoisonné : serais-tu aussi chaste que la glace, aussi pure que la neige, tu n’échapperas pas à la calomnie. Va dans un couvent, va, adieu !... Ou, si tu tiens tellement au mariage, épouse un imbécile. Car les hommes sensés savent trop bien quels monstres vous faites d’eux ! Au couvent, allons, et vite ! Adieu !...

Ophélie – Oh, puissances du ciel, guérissez-le !

Hamlet – J’ai entendu parler de vos peintures, aussi, et bien assez. Dieu vous a donné un visage, et vous vous en faites un autre. Vous sautillez, vous trottinez, vous zézayez, vous donnez des surnoms aux créatures de Dieu, et vous faites une coquetterie de votre ignorance ! Allez ! Je n’en veux plus ! Cela m’a rendu fou. Voilà : je ne veux plus aucun mariage !... Que ceux qui sont déjà mariés, tous sauf un, qu’ils continuent ! Les autres resteront ce qu’ils sont ! Dans un couvent, va !...