2 - 1957

 

1957, c’était encore René Coty président. C’était encore une autre France, avec des écoliers en blouse, des chapeaux, des casquettes et des bérets chez les hommes. La guerre était finie depuis 12 ans, mais la guerre d’Algérie battait son plein, après celle d’Indochine. La France s’était reconstruite, elle était prospère, mais vieillotte. La bourgeoisie dominait, avec ses conventions, sa religion catholique bien institutionnalisée. La photo est sur le perron du Petit Séminaire d’Issoudun où j’étais rentré en primaire (élève externe). Une bonne moitié des écoliers se trouvait être de futurs curés, recrutés, si on peut dire, à 10-12 ans et mis en pension avec juste deux sorties par an. Difficile de parler de vocation. Certains venaient de familles alsaciennes pauvres, 7e, 8e ou 9e enfant qu’on fourguait à l’Église à 500 kilomètres, pour qu’ils puissent au moins manger. Une secte ferait ça aujourd’hui, ses dirigeants iraient en prison. Que sont devenus tous ces garçons, quelle vie ont-ils eue ? Victime d’un long lavage de cerveau, dans une ambiance largement pédophile, sont-ils revenus à une certaine lucidité à 30 ans ? 40 ans ? Je me souviens du catéchisme qu’on nous faisait apprendre par cœur, comme des sourates du Coran, et je me souviens de mon aversion pour ce formatage de pensée, je trichais, j’apprenais le début des phrases, je bougeais la bouche quand on nous faisait réciter ensemble. Les classes étaient pléthoriques, rarement moins de 60 élèves. Les deux institutrices des petites classes étaient des vieilles filles sévères, qui avaient perdu leurs fiancés pendant la Première Guerre, des veuves à vie, frustrées, rabougries. Le stylo-bille était interdit à l’école, on apprenait à écrire à la plume. Les transistors commençaient à se répandre, ainsi que les 33 tours et les 45 tours, qui obligeaient à acheter de nouveaux « tourne-disques ». Mais on écoutait Luis Mariano, Tino Rossi, Line Renaud. Les calculettes n’existaient pas, et bien d’autres objets de notre quotidien, les téléphones étaient en bakélite, il fallait demander le numéro à l’opératrice. Le numéro de la pharmacie de mon père était le 37, c’était pratique, c’était la température. Le lait s’achetait en bouteilles de verre avec une capsule, ou en vrac, nous allions, enfants, chez la crémière avec le pot à lait. La demande pour les nouvelles voitures était forte, la toute nouvelle DS Citroën faisait rêver, mais il fallait attendre deux ans pour l’avoir !

Il n’y avait guère de remise en question. Le communisme effrayait, et la bombe atomique, mais tout semblait si immuable. Sur la photo, je suis au premier rang, tout à gauche. Il paraît que je refusais de porter la blouse.