L’île au champagne
L’ÎLE AU CHAMPAGNE
Bernard Sallé
Texte complet
PERSONNAGES
LAURE et FRAMBOISE, deux amies qui, comme beaucoup d’amies inséparables, sont de caractères très différents et ne cessent de se chamailler.
BÉBERT, petit robot rigolo, serviteur du
Professeur CARINATUS, individu aux agissements fort mystérieux.
DÉCOR
Tout se passe sur une plage exotique, qui peut être simplement symbolisée par deux silhouettes de palmiers, découpées dans de l’isorel ou du carton fort. Vous pouvez aussi utiliser l’un de ces jolis photo-décor exotique, avec la mer, le ciel, la plage et les palmiers, qui se colle par éléments, comme du papier peint.
ACCESSOIRES
Deux caisses en bois, une noix de coco, un bout de corde, quelques cailloux, des morceaux de bois et une dizaine de bouteilles de champagne vides. Rien de tout cela n’est bien difficile à trouver. Pour les bouteilles, réservez celles du mariage de votre cousine, ou demandez au restaurant chic du quartier de vous en mettre de côté. Remplissez quelques bouteilles de limonade teintée d’un peu de sirop de citron, ou de Canada Dry.
COSTUMES
Les deux filles sont pieds nus, en jeans et tee-shirt. Bébert doit avoir un joli costume de robot, assez solide pour qu’il puisse marcher, tomber. Tout est possible, mais il vaut mieux qu’il soit vaguement anthropomorphe. Quelques idées : des tubes carton ou plastique taillés en éléments pour les bras et les jambes. On trouve aussi dans les centres de bricolage des gros tuyaux souples. Moufles ou gants de moto pour les mains. Rembourrages avec des feuilles plastiques garnies de bulles. Le corps peut être conçu à partir d’une poubelle plastique, percée pour la tête et les bras. Pour la tête, un fond de baril de lessive, par exemple, avec des petits gadgets. Pour cacher les trous des yeux, utilisez les verres teintés d ‘une vieille paire de lunettes. Inventez votre robot selon vos moyens. Il doit être surtout très amusant â voir.
Carinatus porte un pantalon de toile et une chemisette.
1. LES NAUFRAGÉES
Laure est seule en scène. Elle scrute soigneusement l’horizon. Puis, avec un petit soupir, elle s’assoit, s ‘adosse à une caisse qui se trouve là, et se laisse bronzer un instant. Puis elle prend derrière la caisse une bouteille de champagne déjà entamée, boit une gorgée. Un bruit de pas. Laure cache prestement la bouteille derrière son dos, et prend un air dégagé.
FRAMBOISE – Laure ! Laure ! Laure ? (arrive Framboise, tout essoufflée)
LAURE, très calme – Eh bien ? Alors ? Qu’est-ce que tu as découvert ?
FRAMBOISE, catastrophée – C’est une île ! Une île déserte !
LAURE, haussant les épaules – Tu vois ? Je te l’avais bien dit.
FRAMBOISE, qui se laisse tomber à côté de Laure – Qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va devenir ? Il n’y a plus aucun espoir, maintenant. Nous sommes perdues toutes les deux sur une île déserte, sans rien, sans personne pour nous aider. Je suis montée là-bas sur le plus gros des rochers, je pouvais regarder de tous les côtés à perte de vue... Tout autour, il y a la mer, rien d’autre. Et sur l’île, pas une maison, pas une trace d’habitation, même pas un chemin, rien... Des arbres, des rochers, des palmiers et la plage…
LAURE – Je te l’avais dit.
FRAMBOISE – Bien sûr, toi tu sais toujours tout.
LAURE – Et des oiseaux.
FRAMBOISE – Ça nous fait une belle jambe ! Est-ce qu’ils sont comestibles, au moins ? Et comment veux-tu les attraper ? Robinson Crusoé avait un fusil, lui ! Et une caisse à outils! Et un...
LAURE – Du calme. Tu es en train de te laisser décourager. Et tu ne réfléchis pas assez.
FRAMBOISE – Bon, alors toi qui réfléchis, dis-moi un peu ce que nous allons devenir ?
LAURE – Eh bien moi, il me semble que notre situation s’est plutôt améliorée, non ? Hier soir nous étions encore sur un petit bateau pneumatique percé, qui prenait l’eau de partout et qui se dégonflait. Tu reconnaitras que nous avions bien peu d’espoir de nous en tirer. Ce matin, nous voilà sur le sable doré d’une belle plage, avec du soleil et des palmiers. De quoi te plains-tu ? C`est le rêve de milliers de personnes, figure-toi.
FRAMBOISE – Évidemment, si tu vois les choses de cette façon... Mais le sable et le soleil, ça ne suffit pas, Laure, il faut aussi de quoi vivre, de quoi manger, de quoi boire ! Et puis tu peux m’expliquer comment on va faire pour rentrer chez nous ?
LAURE – Chaque chose en son temps. Examinons d’abord la situation. Premièrement, nous n’allons pas mourir de faim, il y a des fruits sur les arbres, des crabes sur la plage et des poissons plein la mer. Ensuite, pour la soif, j’ai une petite surprise : regarde ce que j’ai trouvé. (elle lui exhibe la bouteille)
FRAMBOISE – Qu’est-ce que c’est ?
LAURE – Ben tu vois, une bouteille de champagne.
FRAMBOISE – Je vois bien que c’est une bouteille de champagne ! Mais d’où vient-elle ?
LAURE – De la caisse, là.
FRAMBOISE – Laure ! Tu m’énerves ! Dis-moi d’où vient cette caisse ! Elle n’était pas là tout à l’heure !
LAURE – La caisse, je l’ai trouvée enfouie dans le sable, un peu plus loin, avec une dizaine d’autres. (un sourire) Tu vois, pendant que tu te promenais, je n’ai pas perdu mon temps, moi. (étonnée) Tu ne me crois pas? Va vérifier, je t’en prie, va voir, c’est juste là. (Framboise hésite, mais pour en avoir le cœur net, elle finit par se lever et sortir. Un temps. Laure boit au goulot. Framboise revient, pensive, et se rassoit sans un mot. Laure lui tend gentiment la bouteille. Framboise boit, puis regarde la bouteille)
FRAMBOISE – D’où est-ce que ça peut venir, tout ce champagne ?
LAURE – Ça, je n’en sais rien. Mais quelle importance, puisque c’est exactement ce qui manquait à notre bonheur ?
FRAMBOISE, perplexe – C`est peut-être une marée, une forte marée qui aurait apporté les caisses, et le sable les aurait á moitie recouvertes ? (elle reboit une gorgée) C`est vrai qu’avec un peu de champagne, elle devient un peu moins antipathique, cette île. Mais enfin, ça ne résout pas notre problème. Parce qu’enfin, il y a bien des chances pour qu’on nous croie mortes. Personne ne viendra nous chercher là. Si encore on pouvait envoyer un message, quelque chose... (Elle regarde fixement la bouteille, puis Laure) Dis-donc, Laure...
LAURE – Qu`est-ce qu’il y a ?
FRAMBOISE – Des messages ! Nous pouvons en envoyer ! Les bouteilles !
LAURE – Ah oui, voilà qui est une bonne idée. (elle lui tend une étiquette) Tiens, dis-moi si tu es d’accord.
FRAMBOISE lit – « Laurent Périer ››. Eh bien, qu`est-ce qu’il y a d’extraordinaire ? Ah, de l’autre côté ? « S.O.S. Sommes perdues sur une île déserte... » Mais comment... Oh, je vois : tu y avais déjà pensé. Et moi je passe pour une idiote. « …sur une île déserte de l’océan Indien. Venez à notre secours. Signé : Framboise, Laure. ››
LAURE – Qu’est-ce que tu en penses ?
FRAMBOISE – Très bien. Félicitations. Tu m’étonneras toujours, Laure. Qu`est-ce que je ferais, sans toi, parfois je me le demande... Enfin, je vois ce qui nous reste à faire. Allez, au travail ! (elle se lève, va à la caisse)
LAURE – Qu’est-ce que tu fais ?
FRAMBOISE – Ben tu vois, je vais commencer à vider dans mon gosier une deuxième bouteille !
Noir
2. LE FEU
Laure et Framboise commencent à s’installer : des caisses en guise de sièges, une ébauche de hutte au fond, un foyer de pierres au milieu, avec du bois préparé. Mais le feu n’est pas allumé. Sur une caisse, une bouteille de champagne entamée, avec deux demi-noix de coco en guise de coupes. Framboise est en train de frotter deux bouts de bois l’un contre l’autre. Laure, confortablement installée à côté, un chapeau de fortune sur la tête, somnole.
FRAMBOISE – Zut zut zut zut et zut ! J’y arrive pas, j’y arrive pas ! Et j`en ai marre ! (reprenant ses morceaux de bois, elle fait encore une tentative, coince le plus gros entre ses pieds nus et tourne l ‘autre entre ses paumes. Le bois glisse et lui blesse le pied) Aïe ! Saloperie de... ! C'est pourtant bien comme ça, j’en suis sûre. Comment est-ce qu'ils peuvent y arriver ?
LAURE, soulevant une paupière – Qui ça ?
FRAMBOISE – Les Indiens !
LAURE – Où ça ?
FRAMBOISE – Dans les films ! Les Indiens des films ! Ils allument toujours les feux comme ça. Pourquoi est-ce que ça ne marche pas avec moi ?
LAURE, ramenant le chapeau sur ses yeux – Il faut peut-être prendre des bois spéciaux : un bois très dur et un bois très tendre. Et le tout très sec. (Framboise grommelle quelque chose contre le cinéma en général, et les films d’Indiens en particulier. Elle se sert une pleine coupe de champagne) Bois pas trop de champagne au soleil, ça va te tourner la tête.
FRAMBOISE, grinçante – Merci de tes bons conseils. Pour le bois, c’est bien ce que j’ai fait. Mais j’ai beau tourner, tourner, rien à faire ! Au fait, puis-je rappeler à mademoiselle qu’elle se proposait de m’aider à faire du feu ?
LAURE – J’en ai toujours l’intention. Mais les deux bouts de bois, j’y crois pas beaucoup. Alors je réfléchis pour trouver une meilleure solution.
FRAMBOISE, levant sa coupe – Je bois à ta profonde méditation. Ne te fatigue pas trop, surtout. Et ne viens pas t’en prendre à moi si nous mangeons cru pour le restant de nos jours ! Hip. (elle boit. Un temps. Tout à coup, Laure se redresse)
LAURE – Mince ! Framboise ! J’ai trouvé ! In vino veritas !
FRAMBOISE – T’as trouvé ? Qu’est-ce que tu as trouvé ? Raconte !
LAURE – On va utiliser des morceaux de bouteilles comme filtres et miroirs grossissants : on va concentrer les rayons du soleil sur ton bois le plus tendre.
FRAMBOISE – Ah oui, ça devrait marcher ! (Laure est déjà debout, tout agitée, pour une fois. Elle farfouille dans une caisse ou il y a du verre cassé) Il faudrait en disposer plusieurs autour, et voir ce que ça donne... (Elles s’affairent, disposent les morceaux de verre qu’elles choisissent)
LAURE, reculant – Voilà. Il ne reste plus qu’à attendre.
FRAMBOISE – Tu te rends compte, tout ce qu’on aura fait avec ces bouteilles ? On les boit, on les rejette á la mer avec des messages. Les messages, on les écrit au dos des étiquettes qu’on a soigneusement décollées. On a fait des lignes de pêche avec les bouchons et du fil de fer comme hameçons...
LAURE – Et du fil qu’on a tiré sur le bas des jeans !
FRAMBOISE – C’est vrai. Les morceaux de verre font des couteaux, et vont peut-être faire du feu !
LAURE – J’ai l’impression que ça va marcher, le bois roussit.
FRAMBOISE – Et je suis sûre qu'en cherchant bien, on trouverait encore d’autres utilisations ! Comme massues, par exemple !
LAURE – Ou comme nasses à poisson.
FRAMBOISE – Hein ?
LAURE – Comme nasses à poisson. En perçant juste le cul de la bouteille et en laissant le bouchon. Les p’tits poissons rentrent dedans et ne peuvent plus ressortir.
FRAMBOISE – Tout ça avec quelques bouteilles ! Vive le champagne !
LAURE, prenant sa coupe – Vive le champagne !
FRAMBOISE – La survie des naufragés !
LAURE – Dans les équipements de secours, le champagne devrait être OBLIGATOIRE !
FRAMBOISE, sérieuse, tout à coup – Eh ! Tu sais à qui il faut absolument dire ça, si on s’en sort ? C'est aux fabricants des Bombards !
Noir
3. MESSAGES
Quelques jours plus tard. Laure est en train d’égoutter soigneusement des bouteilles, tandis que Framboise écrit avec un bout de charbon les messages à mettre dans les bouteilles.
FRAMBOISE – « S.O.S. Nous sommes perdues sur une île déserte de l’Océan Indien. Venez à notre secours. Signé Laure et Framboise. ›› Voilà. Tiens, un autre message à mettre en bouteille. Continuons : « Deux pauvres filles perdues sur une île déserte de l’Océan Indien demandent du secours. S.O.S. ››
LAURE – Tu changes le texte ?
FRAMBOISE – Je ne vais pas mettre tout le temps la même chose, ça serait monotone.
LAURE – Comme tu voudras, comme tu voudras.
FRAMBOISE – « Nous sommes deux filles perdues
Sur une île déserte.
Avons besoin d’être secourues… ››
Heu... (elle réfléchit, les yeux au ciel)
LAURE – Qu’est-ce que tu cherches ?
FRAMBOISE – Une rime en « zerte ››.
LAURE – Tu ne crois pas que tu te compliques un peu la vie ?
FRAMBOISE – Mais non, ça me fait plaisir. Et je suis sûre que celui qui trouvera le message y sera sensible. Alors ? Une rime en « zerte ›› ?
LAURE – Heu, je ne vois que Bizerte...
FRAMBOISE – Qu’est-ce que c’est que ça, Bizerte ?
LAURE – Une ville en Tunisie.
FRAMBOISE, après un moment de réflexion – Je ne peux pas mettre ça.
LAURE – Non, évidemment.
FRAMBOISE. – Tant pis, ça ne rimera pas :
« Avons besoin d’être secourues,
Recherchez-nous s’il vous plaît. ›› Tiens.
LAURE, prenant le message – Merci.
FRAMBOISE – Un autre : « Laure et Framboise perdues toutes seules sur une île déserte de l’Océan Indien demandent du secours. Nous avons de quoi manger et de quoi boire. Venez nous chercher, et apportez s’il vous plaît de la glace et un seau à champagne. ››
LAURE – Tu ne crois pas que tu exagères un peu, là ?
FRAMBOISE – Pourquoi ? Écoute, il est bon, ce champagne, mais il serait encore meilleur bien glacé.
LAURE, qui s’immobilise – Tiens...
FRAMBOISE – Qu’est-ce qu’il y a ?
LAURE – C’est toi qui as pris les deux bouteilles que j’avais mises au frais ici, sous les feuilles ?
FRAMBOISE – Non.
LAURE – J’avais mis deux bouteilles ici, hier soir...
FRAMBOISE – Je n’y ai pas touché.
LAURE – Tu en es sûre ?
FRAMBOISE – Je ne suis pas venue du tout par ici.
LAURE – Moi non plus.
FRAMBOISE – Regarde... Il y a des traces bizarres, dans le sable...
LAURE – Oui... ici... et là aussi, et là... Toute une piste... (elles se regardent, regardent autour d’elles, inquiètes)
FRAMBOISE – Tu penses que...
LAURE – Qu’il y a quelqu’un sur l’île ? (un temps. Elles ne sont pas du tout rassurées. Laure essaie de voir à travers le sous-bois. Tout à coup, Framboise hurle :)
FRAMBOISE – Montrez-vous !!
LAURE, sursaute, surprise – Idiote ! Tu m`as fait peur !
FRAMBOISE – C’est quelqu’un qui se cache : j’ai visité l’île de long en large, et je n’ai vu aucune trace. Je n’ai même pas vu un seul animal !
LAURE, nerveuse – Il y a des oiseaux.
FRAMBOISE, hausse les épaules – Les oiseaux ne laissent pas des empreintes comme celles-là. Non non, il y a quelqu’un. Quelqu’un qui se cache ! Qui nous observe, peut-être...
LAURE. – Et qui vole du champagne !
Noir
4. LE VOLEUR
Pour capturer le mystérieux personnage qui vient la nuit voler du champagne, les deux filles ont monté un guet-apens. Il fait nuit maintenant. Laure et Framboise se sont embusquées chacune derrière un palmier, une bouteille à la main en guise d’arme. Une troisième bouteille, pleine celle-là, a été placée bien en évidence sur une caisse.
FRAMBOISE – Hip.
LAURE – Chut.
FRAMBOISE – Écoute, plus personne ne viendra, maintenant.
LAURE – Si. Tais-toi.
FRAMBOISE – Mmm mmmh mm.
LAURE – Quoi ?
FRAMBOISE – J’en ai assez, je veux dormir.
LAURE – Ne bouge pas ! Patiente un peu, si tu veux qu’on l’attrape, notre voleur.
FRAMBOISE – Mmmm hmmhm mmhm.
LAURE – Quoi ?
FRAMBOISE – Il ne viendra pas.
LAURE – Mais si il viendra ! Et la seule bouteille qu’il pourra prendre, c`est celle qui est sur la caisse. Ça ne peut pas rater.
FRAMBOISE – Hip.
LAURE – Chut.
FRAMBOISE – J’ai le hoquet.
LAURE – Retiens ta respiration. Fallait pas boire tant de champagne.
FRAMBOISE – Hip.
LAURE – Tais-toi ! J’entends quelque chose. Comme une espèce de bruissement...
FRAMBOISE – Chut !
LAURE – C’est lui ! (Laure et Framboise se tapissent derrière leurs arbres. On entend des bruits feutrés, la progression de quelque chose qui approche avec précaution. Apparaît... un petit robot furtif qui regarde de part et d’autre, et va jusqu’à la bouteille de champagne. Comme il va pour la prendre, Laure se précipite et lui assène sur la tête un vigoureux coup de bouteille. Bing !)
BÉBERT-LE-ROBOT – Ouïlle ! (Framboise se précipite aussi, avec un grand cri de triomphe, tape sur la tête du robot)
BÉBERT – Aïe ! Avez-vous f-fini? Ne me t-tapez p-pas sur la t-tête !
LAURE rugit – Rendez-vous !
BÉBERT – Je m-me rends. Je me rends. Mais ces-sez de t-taper sur ma pauvre t-tête !
FRAMBOISE – Dis-donc, c’est un robot !
LAURE – Un robot ?
FRAMBOISE – Mais oui. C’est un drôle de robot. Tiens, écoute le bruit que ça fait ! (elle tape, bing !) tu vois !...
BÉBERT – Non ! Ar-rêtez ! Je me r-rends !
FRAMBOISE – Très bien. Lève les bras et ne bouge plus.
LAURE – C’est toi qui vole notre champagne ?
BÉBERT. – Hé ! Ce n’est p-pas votre champagne, c-c’est mon champagne. Hip.
FRAMBOISE. – Non ! Il est à nous !
BÉBERT. – M-Menteuse !
LAURE – Comment tu t’appelles ? Qu’est-ce que tu fais sur cette île ?
BÉBERT – Je m’appelle Bébert. Hip. C-ce que je f-fais ici, ça ne v-vous regarde p-pas.
FRAMBOISE – Pourquoi est-ce que tu te caches ?
BÉBERT – Je ne m-me cache p-pas. Je n’ai p-pas le d-droit de s-sortir le jour, c-c’est tout.
FRAMBOISE – Il est rond comme un boulon, ce robot !
LAURE – Pas le droit de sortir ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
BÉBERT – Ça... Ça ne vous r-regarde pas.
UNE GROSSE VOIX, TRÈS LOIN – Bébert ? Bébert !?
BÉBERT – O-On m’appelle ! (il se précipite pour sortir, se ravise, revient pour prendre la bouteille)
LAURE – Qui ça ? Qui t’appelle ?
BÉBERT – N-Ne me t-tapez plus sur la t-tête ! (il disparait. Les filles restent un instant confondues. Elles se regardent)
LAURE – Eh bien ! Tu y comprends quelque chose, toi ?
FRAMBOISE – Moi ? Non. Mais du coup, j’en ai perdu mon hoquet.
Noir
5. UN LABORATOIRE SECRET
Framboise, seule, est en train de tresser une corde avec des lanières d’écorces. C ‘est le lendemain, il fait très beau.
FRAMBOISE, chantonne
« Tout est bon chez elle, y’a rien à jeter,
Sur l’île déserte il faut tout emporter... ››
(Bébert arrive timidement derrière elle)
BÉBERT – Bonjour.
FRAMBOISE, se retourne vivement – Ah ! (elle soupire) Ah, revoilà le robot picoleur...
BÉBERT – Bonjour.
FRAMBOISE – Bonjour. Tu n’as pas l’intention de faire le méchant, j’espère ?
BÉBERT – Non non, je ne fais de mal à personne. C’est vous qui m’avez fait mal, hier, en me tapant sur la tête.
FRAMBOISE – C’est normal, tu venais voler notre champagne.
BÉBERT – C`est mon champagne.
FRAMBOISE – Écoute, tu ne vas pas recommencer, hein ? Le champagne appartient à ceux – je veux dire, à celles –, qui l’ont trouvé.
BÉBERT – S’il vous plaît, donnez-moi une bouteille.
FRAMBOISE – Une bouteille ?
BÉBERT – S’il vous plaît.
FRAMBOISE – Pour quoi faire ?
HEBERT – Pour la boire.
FRAMBOISE fronce les sourcils – Tu n’es qu’un pauvre alcoolique, tu devrais avoir honte. (Bébert baisse la tête) Tu m’entends ?
BÉBERT – Oui.
FRAMBOISE – Tu as honte, au moins?
BÉBERT – Oui.
FRAMBOISE – Qui c’était, hier, la voix qui t’appelait ?
BÉBERT – Je ne peux pas vous le dire.
FRAMBOISE – Je ne te donnerai pas de bouteille.
BÉBERT – C’était mon patron.
FRAMBoISE – Ton patron ?
BÉBERT – Le professeur Carinatus.
FRAMBOISE – Professeur ...? Un scientifique ?
BÉBERT – Oui.
FRAMBOISE – Et vous vivez tous les deux sur cette île ? Personne d’autre ?
BÉBERT – Non.
FRAMBOISE – Pourquoi est-ce que vous vous cachez? Où est-ce que vous habitez ?
BÉBERT – …
FRAMBOISE – Pas de réponse, pas de bouteille.
BÉBERT, très vite – Il y a une maison secrète. Cachée sous la colline. Et un laboratoire. De l'extérieur, on ne peut rien voir du tout.
UNE VOIX AU LOIN – Bébert ! Bébert ! Où es-tu ?
BÉBERT – Donnez-moi une bouteille. Il faut que je m'en aille ! Vite, s’il vous plaît...
FRAMBOISE, qui cède, se lève – Bon. (elle va derrière, revient avec une bouteille) Tiens, voilà.
BÈBERT – Merci. (il prend la bouteille et détale)
FRAMBOISE – Hé ! Attends !... (il a déjà disparu. Elle reste un instant à regarder dans la direction ou il est parti, soucieuse. Puis elle revient lentement à sa corde, dont elle reprend le tressage)
VOIX DE LAURE – Framboise ? C’est moi. (elle entre)
FRAMBOISE – Ah, te voilà. Tu n’as vu personne ? Le robot, ou... quelqu’un d’autre ?
LAURE – Non, personne.
FRAMBOISE. – Le robot était là. Il est revenu. Il voulait une bouteille. J’ai essayé de le faire parler, mais j’en ai pas tiré grand-chose, sinon qu’il y a quelque part dans l’île une sorte de laboratoire souterrain avec un professeur Machinchouette qui se cache. Finalement, il y a du monde, sur cette île déserte…
LAURE. – Un professeur ?
FRAMBOISE. – Un savant. Genre savant fou, si ça se trouve. Tu veux que je te dise, Laure : ça ne me plaît pas du tout, ce genre de truc...
LAURE – À moi non plus. Surtout avec ce que j’ai trouvé : regarde. (elle déplie une grande carte de l’île, constellée de points rouges et de signes bizarres)
FRAMBOISE – C’est une carte de l’île. Mais les points rouges ? Qu’est-ce qu’ils représentent ? (elle regarde autour d’elle)
LAURE, haussant les épaules – Je ne sais pas. J’ai cherché. J’ai pensé à du matériel de surveillance... J’ai choisi l’un des points, et j’ai exploré minutieusement l’endroit. Mais il n’y avait rien d’anormal.
FRAMBOISE – C’est peut-être aussi bien camouflé que la maison.
LAURE – En tout cas, ce que je vois, c'est qu’on s’est fourré dans un drôle de pétrin.
FRAMBOISE – Qu’est-ce qu’on va faire ? Laure ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?
LAURE – Le robot n’est pas méchant ?
FRAMBOISE – Non. Il n’a pas l’air très intelligent, non plus.
LAURE – Alors j’ai peut-être ma petite idée...
Noir
6. LE PIÈGE
Dans l’après-midi. Laure va et vient en courant. Framboise est au milieu, l’air assez paniqué.
LAURE – Alors, on y va ? Pas changé d'avis ? On risque le tout pour le tout ?
FRAMBOISE, une coupe de champagne à la main – Hein ? Oui oui. Mais ça ne m’empêche pas de penser que c’est de la folie. (elle boit)
LAURE - Ne bois pas trop. Il va falloir garder la tête claire. Sinon...
FRAMBOISE – Ouais. Si je garde la tête claire, je vais me sauver en courant et te laisser faire tes bêtises toute seule...
LAURE – Tout est prêt ? J’ai vu le robot rôder pas loin. Il avait l’air de marcher à peu près droit. Donc il va bientôt avoir besoin d`une nouvelle bouteille.
FRAMBOISE –- Pour ça, il va être servi ! (elle rit bêtement)
LAURE – Bon, récapitulons : la corde est là. Le nœud coulisse bien. On la voit, la corde ? Faut vraiment le vouloir, pour y faire attention, non ?... La caisse est là, d’accord. Moi je me cache ici, toi tu restes au milieu, l’air de rien...
FRAMBOISE – Pourquoi moi ? Pourquoi moi ? Si tu restais, toi ? Je peux très bien tirer la corde à ta place !
LAURE – Mais non, Framboise, on avait convenu comme ça. Et puis tu joues bien mieux la comédie que moi ! Je t’assure.
FRAMBOISE, vaguement flattée – Oui, bon. Alors qu’est-ce que je fais ? Je m’assois là. (elle s’assoit) Et qu’est-ce que je fais ?
LAURE, qui s’est mise à son poste, cachée – Tu n’as qu’à faire quelque chose de naturel, je ne sais pas, moi ! Tu n’as qu’à te peigner, par exemple, en chantonnant quelque chose... Qu’il ne se doute de rien.
FRAMBOISE, pas très sûre – Tu crois ?
LAURE – Mais oui !
FRAMBOISE – Mais tu sais bien qu’on n’a pas de peigne...
LAURE – Peigne-toi avec les doigts ! Et prends l`air naturel.
FRAMBOISE – Ah bon (elle se passe les doigts dans les cheveux en prenant un air terriblement faux. Elle chuchote vers Laure) Qu’est-ce que je chante ?
LAURE, chuchote aussi – N’importe quoi ! « Maman les p’tits bateaux ›› !
FRAMBOISE – Dis-donc ! Tu te moques de moi, ou quoi ?
LAURE, excédée – Autre chose ! Ce que tu veux ! M’en fiche !
FRAMBOISE réfléchit – Je vais siffloter. (elle sifflote un instant, s’arrête) Bon, alors il pose le pied dans le nœud. Tu tires, il tombe. Qu`est-ce que je fais ?
LAURE – Tu prends vite la caisse que tu lui mets par-dessus. Et voilà, il sera immobilisé.
FRAMBOISE, faiblement – Et si ça rate ? Il ne sera pas content, je t’assure. Il va devenir violent, il va me frapper, il va me tuer... Écoute, tu ne veux pas qu’on change, plutôt ?
LAURE – Non ! D`ailleurs c’est trop tard, je l’entends ! Chut ! Le voilà ! Tais-toi ! Sifflote ! L’air naturel !!!
BÉBERT entre, d’un pas légèrement vacillant – Bonjour.
FRAMBOISE, à moitié terrorisée, tout en essayant de siffler et de se peigner les cheveux – Booonjour... (le robot avance, s’arrête à un pas de la corde. Framboise fait de grands signes désespérés à Laure pour qu’elle ne tire pas sur la corde, et de grands sourires ensorceleurs à Bébert quand il la regarde. Bébert est étonné. Il fait encore un pas, mais toujours à côté du nœud coulant. Tout à coup, Laure tire sur la corde, qui jaillit du sol et disparaît en coulisse)
BEEERT – Qu’est-ce que c’était ??
FRAMBOISE, livide – Ooooh, une corde...
BÉBERT – Je ne comprends pas.
FRAMBOISE, d’une petite voix blanche – Voulez-vous s’il vous plaît vous coucher sur le sable ici s’il vous plaît ?
BÉBERT – Oui, mais pourquoi ?
FRAMBOISE – C’est une surprise. Couchez-vous s’il vous plaît. (il se couche. Elle transporte la caisse, qu‘elle renverse sur le robot. Il ne reste plus que la tête qui dépasse par une encoche. Framboise se laisse tomber sur la caisse, á moitié défaillante) Ouf !
LAURE, qui surgit, triomphante – Eh bien tu vois ! Ça a marché quand même !
FRAMBOISE – Toi, oooh, tais-toi, je t’en supplie !
BÉBERT – Je n’ai rien compris.
FRAMBOISE – Et maintenant, qu`est-ce qu’on en fait ?
LAURE, avec un sourire inquiétant – Maintenant ? On le fait parler, et par tous les moyens !
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7. LA QUESTION
Le robot est toujours sous la caisse. Laure est en train de lui verser dans la bouche le contenu d’une bouteille.
LAURE – Alors, tu vas parler ? (Elle repose la bouteille, vide)
BÉBERT – Hip.
LAURE – Parle ! Ou je te fais boire de force une quatrième bouteille !
BÉBERT – Voui ! Hip, encore !
LAURE, à Framboise, assise en tailleur sur la caisse – Je continue ?
FRAMBOISE, haussant les épaules – Une de plus une de moins... Mais j`ai 1”impression que ça ne le fera pas parler.
(Laure prend une quatrième bouteille, la verse intégralement)
BÉBERT – Gloup ! Hip. Merchi, merchi beaucoup, ravichante. Fvoila la fvraie manière de b-boire le c-champagne ! Cha, ch’est de la deg-gustation !
FRAMBOISE – Tu n’arriveras à rien comme ça. (elle se lève) Tiens, passe-moi la bouteille vide. Moi je vais te le faire parler, ton ivrogne. (Laure lui passe la bouteille. Framboise sort)
LAURE – Eh bien, sac-a-vin, est-ce que tu vas enfin répondre à mes questions ?
BÉBERT – Ze que tu veux ! Entre toi-z-et-moi, z’est à la vi-ie à la mort. Hip !
LAURE – Alors dis-moi : qui est le professeur Carinatus ? Pour qui est-ce qu’il travaille ? Pourquoi est-ce qu’il se cache ? Qu’est-ce qu’il fait dans son laboratoire ?
BÉBERT – T’aurais pas une ‘tite bouteille chous la main ? J’ai comme une ‘tite choif à étancher.
LAURE – Non ! Plus rien ! Je ne te donnerai plus une goutte !
FRAMBOISE, revenant – Attends, mon pauvre Bébert, je vais te donner à boire, moi.
BÉBERT – Merchi ! Du fond du c-cœur, Merchi ! (elle verse. Il boit, mais tout à coup se met à hurler) Bwaaa ! Pouaah ! Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est ?
FRAMBOISE – De l’eau de mer, tout simplement. Et si tu ne parles pas, je te fais boire toute la bouteille, et une autre, et une autre. Autant que tu voudras, il y a de la réserve.
BÉBERT – Non ! Je vais parler !
FRAMBOISE – Très bien ! Parfait ! Laure, tu poses les questions, moi je garde la bouteille sous la main, à tout hasard.
BÉBERT – Non...!
LAURE – Eh bien ! Voilà un petit robot qui est devenu tout à fait raisonnable ! Écoute-moi : je veux tout savoir. Qui est Carinatus ? Pour qui travaille-t-il ? Que fait-il dans ce laboratoire ? Où est cachée la porte ? Est-ce qu’on peut rentrer sans qu’il s`en rende compte ? Est-ce qu’il est armé ?
BÉBERT – Hein ?... heu heu heu… (il bâille, soupire)
LAURE – Tu re-veux une petite goutte d’eau de mer ?
BÈBERT – Pffuuutt. Rrrrrr, pffruuuutt. Rrrrrr...
LAURE – Qu’est-ce qu’il a ?
FRAMBOISE – Il dort.
LAURE – Il dort ? Il cuve, oui ! (elle donne des coups de pieds dans la caisse. Aucune réaction) Quelle plaie, ce robot ! Il m’a crevée. Je suis complètement lessivée !
FRAMBOISE – Moi aussi.
LAURE, en s’asseyant contre la caisse – Écoute, voilà ce qu’on va faire : on va attendre ici. Carinatus finira bien par s’inquiéter. Il faudra bien qu’il sorte et qu’il se mette à la recherche du robot. On guette à tour de rôle. Quand il arrive, on se cache – il ne se doutera de rien, puisqu’il ne sait pas qu’on est sur l’île. On l’assomme à tous les deux...
FRAMBOISE – Hein ?
LAURE – Mais oui, c’est pas difficile ! On l’assomme, on l’attache, et lui, je t’assure qu’on arrivera à le faire parler !
FRAMBOISE, qui s’assoit à côté de Laure – Tu ne crois pas tout de même qu’il faudrait essayer de discuter avec lui ? Peut-être qu’il n’aurait pas que des mauvaises intentions ?
LAURE – T’en ferais le pari ?
FRAMBOISE – Ben...
LAURE – Non. Trop risqué. La seule solution : on cogne, on discute après.
FRAMBOISE – D’accord... Il ne reste plus qu’à attendre. (un silence. Elle bâille) Il va mettre combien de temps avant de se décider à chercher son robot ?
LAURE – Je ne sais pas. (silence. Elles sont toutes les deux vaguement somnolentes) Tu ne t’endors pas ?
FRAMBOISE – Non non.
Noir
8. TOUT EST BIEN...
Les deux filles, affalées l’une contre l’autre, dorment profondément. Bébert aussi, toujours coincé sous sa caisse. Entre le Professeur Carinatus, qui toussote pour attirer l’attention des deux filles.
LE PROFESSEUR – Hum humm. (pas de réaction. Il s’approche un peu, gêné) Heu... Mesdemoiselles ? Mesdemoiselles ?
FRAMBOISE s’agite, lève un œil incertain, bâille – Oui ? Qu’est-ce que c’est ?
LE PROFESSEUR – Pardonnez-moi de vous déranger, mais... est-ce que vous n’auriez pas besoin de secours, ou quelque chose comme ça ?
FRAMBOISE – Hein ? (elle le regarde fixement, maintenant, puis donne un vigoureux coup de coude à Laure, pour la réveiller)
LAURE – Aïe! Aïe ! Arrête, qu’est-ce qu’il y a ?
LE PROFESSEUR – Je suis désolé de vous réveiller... J’étais à la recherche de...
LAURE – Vous êtes le professeur Carinatus ?
FRAMBOISE – Ne nous faites pas de mal, s’il vous plaît !
LE PROFESSEUR – Moi ? Mais... Attendez ! J’y suis ! Vous êtes... êtes-vous naufragées ? Est-ce vous qu’on recherche ? Mais oui, ça doit être vous !
LAURE – On nous recherche ?
LE PROFESSEUR – Il y a eu plusieurs avis à la radio. Deux jeunes filles perdues sur un canot pneumatique. C’est bien ça ?
FRAMBOISE – Ben oui mais...
LE PROFESSEUR – Pourquoi n’êtes-vous pas venues me trouver immédiatement ? Il est vrai que ma maison est bien camouflée, et que moi, je ne sors que le moins souvent possible. Mais vous avez dû rencontrer mon robot ? C’est une chance, d’ailleurs, que je sois parti à sa recherche aujourd’hui !
LAURE, se levant et soulevant la caisse – Heu oui... il est ici.
LE PROFESSEUR – Qu’est-ce qu’il fait là ? Qu’est-ce qu’il a ?
FRAMBOISE – Hum, il dort.
LE PROFESSEUR, qui aperçoit soudain les bouteilles – Ah ! Je comprends tout ! Cette fripouille de Bébert ! C`est donc ici qu’il cachait ses bouteilles ? Et voilà pourquoi il avait disparu : pour venir boire ! Et vous, vous 1’avez immobilise pour l’en empêcher ! Je ne peux que vous en féliciter ! (les deux filles se regardent, ahuries. Le professeur, à Bébert) Debout ! Feignant ! Debout !
BÉBERT, pas très clair – Qui m’appelle ?
LE PROFESSEUR – Moi ! Et je voudrais bien que tu m’expliques ce que tu fais ici, entouré de bouteilles vides !
FRAMBOISE – Ce n’est pas lui, c’est nous qui... aïe ! (Laure vient de la pincer au bras)
LAURE, angélique – Oh, s’il vous plaît, ne le punissez pas ! Il n’a pas fait grand-chose de mal, je vous assure !
LE PROFESSEUR – Vraiment ? Bon, pour cette fois... Mais je vais tout de même confisquer tout ce champagne.
BÉBERT – Ooooh...
LE PROFESSEUR – Ne discute pas ! Et tu n’auras droit à une bouteille que quand tu auras fini tout le travail en retard : la vaisselle, la lessive, le ménage, le rangement...
BÉBERT – OoooOooooh...
LE PROFESSEUR – Allez ! Au travail ! File ! (Bébert sort en se tenant la tête) Mesdemoiselles, n’ayez plus aucune inquiétude, je m’occupe de tout : télégraphier immédiatement que vous êtes ici, que vous êtes saines et sauves. Rassurer tout le monde. Et puis vous viendrez quelques jours chez moi, le temps qu`un bateau vienne vous chercher. Nous sommes assez isolés, mais d’ici deux ou trois jours, je pense que vous pourrez quitter l’île. Pour commencer, je vous invite à dîner ce soir. Et je vous ferai visiter mes installations. Pardonnez-moi ! Je ne vous ai pas dit que j’étais ornithologue ! Je suis sur cette île pour étudier les oiseaux. C’est la raison pour laquelle la maison et le laboratoire sont camouflés, pour ne pas déranger les espèces sauvages qui viennent nicher ici. Et je sors le moins souvent possible. Bébert peut sortir, lui, il n`effraie pas les oiseaux.
LAURE, qui sort la carte – Mais alors, cette carte...
LE PROFESSEUR – Ah, vous l’avez retrouvée ? Bébert l’avait perdue, elle sert à marquer l’emplacement des nids de Charadrius asiaticus.
LAURE – Des nids ?
LE PROFESSEUR – Oui, des nids d`oiseaux. Je suis content qu’elle ne soit pas perdue.
LAURE, avec un soupir – Ah bon, c’était ça ?...
LE PROFESSEUR – Eh bien, je vais télégraphier tout de suite. Et puis nous transporterons tout ce champagne, que je mettrai soigneusement sous clé. Si vous pouviez rassembler les bouteilles, pendant que j’envoie un message…
FRAMBOISE – D’accord.
LE PROFESSEUR – Alors j’y vais. À tout à l’heure ! Vous voyez le rocher, là-bas ? il cache la porte d’entrée.
LAURE – À tout à l’heure... (il sort) Ben, on s’était drôlement trompées !
FRAMBOISE – Note bien, je préfère ça !
LAURE – Ouf ! Moi aussi ! Tous nos malheurs sont terminés, Framboise ! Et du coup, nous voilà en vacances !
FRAMBOISE – Il est très gentil, finalement, ce Carinatus ! (elle s’agite par derrière.)
LAURE – Qu’est-ce que tu fais ? Tu rassembles les bouteilles ?
FRAMBOISE – J’en planque d’abord quelques-unes, tout de même... Pour ce pauvre Bébert qu’on aura drôlement persécuté. Et puis pour nous aussi, si on doit rester quelques jours de vacances ici...
LAURE. – Tu as raison ! Bien sûr ! Sans champagne, ça ne serait pas des vacances !
FRAMBOISE – Eh non !...
FIN
Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.
Ils sont disponibles aujourd'hui, avec la comédie "Trois Filles d'Êve", dans le recueil "Le Théâtre de Bernard Sallé pour la jeunesse", publié par Kindle Amazon.
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