Les Colères de Bébert

 

LES COLÈRES DE BÉBERT

Texte complet

 

PERSONNAGES

LAURE et FRAMBOISE

BÉBERT

PAVATAVATTE JUNIOR, jeune extra-terrestre humanoïde, particulièrement bizarre.

 

DÉCOR

Nous sommes à la campagne, en week-end, chez les grands-parents de Framboise, disons, au bord d’un pré ou à 1’orée d’une forêt. Encore une fois, il est facile de symboliser l’endroit avec une ou deux silhouettes d’arbres ou de buissons, mais il est toujours possible de faire mieux !

 

ACCESSOIRES

Ils sont extrêmement simples, cahier, pipe, appareil photo. On ne verra pas la soucoupe volante, qui passe bien au-dessus de la scène et qui se pose au loin.

 

COSTUMES

Laure et Framboise sont habillées d’une manière tout à fait simple. Bébert n’a pas changé. Pavatavatte junior porte trois costumes caricaturaux, qu’il faut rendre très drôles.

 

SCÈNE 1

Entre Laure, suivie de Framboise, qui tient un cahier à la main.

LAURE – Bébert ! Bébert !?

FRAMBOISE – Où est-ce qu’il est encore passé, celui-là ? C’était pas la peine de l’emmener en week-end s’il est toujours disparu. Où est-ce qu’il est ? Bébert ?!

LAURE – Pas de réponse.

FRAMBOISE, après un soupir – Voyons toujours ce qu’il y a à faire, on le cherchera après. (elle regarde sur le cahier) Oui, bon, il y a un truc de maths comme hier. Bébert le fera. Ensuite : « Pour chaque pays de la liste suivante, retrouvez le nom de la capitale, le nombre d`habitants... ›› Hou la là, c’est pour Bébert aussi. Ils sont complètement fous de poser des questions comme ça !

LAURE – Pourquoi ? C’est plutôt amusant, comme exercice.

FRAMBOISE – Amusant ? Ah oui ? Eh bien, tu n’as qu’à les faire, ces devoirs, je t’en prie !

LAURE – C’est toi qui as eu des devoirs à emporter, pas moi.

FRAMBOISE – Je trouve ça complétement injuste. Pourquoi est-ce que j’en ai, et pas toi ?

LAURE – Parce que j’ai mieux travaillé, tout simplement.

FRAMBOISE – En maths, on a toujours les mêmes notes.

LAURE – Normal, tu copies depuis le début de l’année sur moi.

FRAMBOISE – C’est injuste tout de même. Et j’en ai ras-le-bol, de ces devoirs !

LAURE – Te plains pas, c’est Bébert qui les fait.

FRAMBOISE – Où est-ce qu’il est, celui-là ? (elle crie) Bébert !

LAURE – Vaudrait peut-être mieux le trouver. Parce que ta grand-mère a été formelle : pas de promenade tant que les devoirs ne seront pas faits.

FRAMBOISE – Bébert ! Il m’énerve, ce robot ! Il n’est jamais là quand on a besoin de lui. Bon, je vais le chercher. Tu m’attends ici ? (elle lui tend le cahier)

LAURE – D’accord. (elle feuillète) Il n’y a pas que des maths et de la géo, il y a aussi une rédaction à faire...

FRAMBOISE – Oui, eh bien on verra ça plus tard. D’abord retrouver Bébert. (elle sort)

 

SCÈNE II

Laure, toute seule, soupire et s’assoit pour attendre Framboise. Comme elle rouvre le cahier, Bébert arrive par le côté opposé à celui par où est sortie Framboise.

BÉBERT – On m’a appelé ?

LAURE – Ah ! Eh bien te voilà, Bébert ! Y’a Framboise qui te cherche pour que tu fasses ses devoirs.

BÉBERT – Mais je les ai déjà faits hier, les devoirs !

LAURE – Oui mais il y en a d’autres.

BÉBERT – J’en ai marre, à la fin ! C’est moi qui fais tout le travail. Ce matin, j’ai fait les lits, le ménage, j’ai fait la vaisselle, et puis j’ai épluché les légumes, j’ai préparé le déjeuner ! Après j’ai fait le service, j’ai tout nettoyé, tout est impeccable, maintenant je ne demande qu’une chose, c’est de me reposer un petit peu !

LAURE – Te reposer ?

BÉBERT – Me reposer !

LAURE – Comment peux-tu avoir envie de te reposer ? Il me semble que tu es programmé pour travailler, pas pour te reposer.

BÉBERT – Et alors ? Il est peut-être mal fait, mon programme, qu’est-ce que tu en sais ? Même moi, des fois, je me pose des questions. Et parfois, j’ai besoin de me reposer. Comme tout le monde !

LAURE – Tu n`es pas comme tout le monde, tu es un robot.

BÉBERT, buté – Quand même.

LAURE – Écoute, pour l’instant, il y a des devoirs à faire, des maths, de la géo et une rédaction. Il faudrait voir avec Framboise... (elle appelle) Framboise ? Framboise ? (pas de réponse) Elle est partie te chercher. Vers la maison, je crois.

BÉBERT, mécontent – Bon. Très bien. Je vais la retrouver, et on verra cette histoire de devoirs. Mais ensuite, j’irai me reposer ! (il sort)

 

SCÈNE III

Laure le regarde partir, et feuillette le cahier. Un bruit de l’autre côté lui fait tourner la tête. C ‘est Framboise, qui entre.

FRAMBOISE – Non, décidément, je ne l’ai pas trouvé.

LAURE – Bébert ! Mais il était là, à l’instant !

FRAMBOISE – Allons bon !

LAURE – Ne t’inquiète pas, il va revenir. Il va te chercher, il ne va pas te trouver, il reviendra ici. On va l’attendre, c’est tout. Mais dis donc, il est devenu drôlement grincheux, depuis qu’il a été reprogrammé. Il est toujours en train de râler.

FRAMBOISE – Au moins, il ne boit plus. Tu te souviens, avant ?

LAURE – C’est vrai qu’il y a du progrès, de ce côté-là. D’un autre côte, il est moins rigolo qu’avant. Plus efficace, c’est sûr, mais moins rigolo.

FRAMBOISE – Tu disais qu’il y avait une rédaction ?

LAURE – Oui, attends que je la retrouve, attends... Voilà ! Rédaction : « Vous rencontrez en vacances quelqu’un de particulièrement intéressant, ou original. Décrivez votre rencontre, et montrez en quoi elle se distingue particulièrement. ››

FRAMBOISE, après un instant de réflexion – C’est embêtant, parce que les maths ou la géo, Bébert peut les faire, mais ça...

LAURE – Écoute, je peux t’aider. Il suffit de prendre quelqu’un de vraiment intéressant, et de le décrire...

FRAMBOISE – Bonne idée, qui ça ?

LAURE – Je ne sais pas, moi, n’importe qui... Ton grand-père ?

FRAMBOISE – Booof...

LAURE – Ta grand-mère ?

FRAMBOISE – Baah... si c’est tout ce que tu as, comme idées...

LAURE – Le gardien du cimetière ?

FRAMBOISE – Tu parles d’une découverte ! Je le connais depuis toujours, il a un œil de verre et parle avec un accent terrible. Je ne vois pas tellement ce que je peux dire de plus sur lui... Non, quelqu’un d’autre.

LAURE – Il y aurait bien quelqu’un, éventuellement, quelqu’un à propos duquel tu aurais peut-être beaucoup de choses à dire... Je pense au petit blond de ce matin, celui qui t’avait proposé de te porter ton sac, et avec qui...

FRAMBOISE – Dis donc, qu’est-ce qui te prend, Laure ? Qu’est-ce que tu vas chercher là ? Tu es jalouse, ou quoi ? Il faut le dire !

LAURE – Moi ? Jalouse ? D’abord j’aime pas les blonds.

FRAMBOISE – Parce que si tu veux faire des histoires, et si tu veux qu’on parle de...

LAURE – Chut ! Attends, écoute !

FRAMBOISE – Qu’est-ce qu’il y a ? (on entend une sorte de sifflement doux)

LAURE – Regarde, là-haut ! (elles ont le nez levé, toutes les deux, et suivent quelque chose qui se déplace dans le ciel)

FRAMBOISE – C’est... c’est... on dirait un OVNI.

LAURE – Mais non, voyons !

FRAMBOISE – Si, regarde ! ça ressemble vraiment à une soucoupe volante ! Elle tourne, elle tourne...

LAURE – C’est vrai qu’on dirait... Framboise ! Elle ralentit ! Elle descend !...

FRAMBOISE – Oui ! Elle va se poser chez nous ! Laure ? Est-ce que tu te rends compte ? Regarde : elle se pose ! Qu’est-ce qu’il faut faire ?

LAURE – Prévenir ton grand-père. Ils n’ont pas le droit de se poser comme ça n’importe où.

FRAMBOISE – Arrête ! Je suis sérieuse !

LAURE – Moi aussi : va vite prévenir ton grand-père, si nous sommes les seules à avoir vu la soucoupe, personne ne nous croira !

FRAMBOISE – C’est vrai !

LAURE – Va le chercher, vite vite ! Vas-y ! Moi je reste là, je surveille ! (Framboise hésite un brin, puis sort)

 

SCÈNE IV

Laure reste tapie, et scrute au loin la soucoupe volante. Bébert arrive dans son dos, la voit â quatre pattes, se demande ce qu’elle cherche. Intrigué, il se met lui aussi à regarder tout autour de lui.

BÉBERT – Qu’est-ce que tu cherches ? Tu as perdu quelque chose ?

LAURE – Chut ! Tais-toi ! Cache-toi !

BÉBERT – C’est un nouveau jeu ? J’ai cherché Framboise, mais je ne l’ai pas trouvée.

LAURE – Regarde ! Qu’est-ce que tu vois là ? Dis-moi exactement ce que tu vois.

BÉBERT – Un truc qui ressemble à une soucoupe volante. Bon alors, pour les devoirs ?

LAURE – On s’en fiche, des devoirs ! Il y a une soucoupe volante qui nous atterrit sous le nez, et toi tu parles de devoirs !...

BÉBERT – Et alors ? Je ne suis pas programmé pour tomber en admiration devant la première soucoupe volante venue ! C’est vrai, quoi ! Vous ne savez pas ce que vous voulez ! Tout à l’heure, c’était les devoirs à faire, tout de suite et sans discuter, maintenant il faut se pâmer devant une soucoupe volante ! Et encore, elle n’a vraiment rien d’extraordinaire, cette soucoupe.

LAURE – Regarde ! Il y a quelque chose qui bouge ! Une porte ! Et il y a quelqu’un qui sort... Ah ! C’est un extraterrestre !

BÉBERT – Évidemment. Tu t’attendais à quoi ? Un piano à queue ? En général, c’est plutôt des extraterrestres qui sortent des soucoupes. Et celui-là a l’air d’une grande banalité. Enfin, il aurait l’air, s’il n’avait pas cette espèce de trompe, par devant.

LAURE – Je ne vois rien, c’est trop loin ! Il faudrait des jumelles… Des jumelles ! Le grand-père de Framboise en a ! Bébert, écoute-moi bien ! tu ne bouges pas d’ici. Tu montes la garde et, heu... tu notes très exactement tout ce qu’il fait, tout ce qui se passe. Mais tu ne bouges pas ! Compris ? (elle file)

BÉBERT – Oui oui, bon, d’accord...

 

SCÈNE V

Bébert se penche, regarde avec curiosité.

BÉBERT – Qu’est-ce qu’il fait ? Il regarde autour de lui... les champs, le chemin... Il bouge. Il s’en va... non, il vient par ici, il vient vers moi, pour être précis. Il arrive. Voyons, voyons... finalement, ce n’est pas une trompe, qu’il a devant, c’est une pipe, une belle pipe, d’ailleurs. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Qu’est-ce qu’elle m’a dit, Laure ? Pas bouger ? Bon, alors je ne bouge pas. Il s’approche... hmm. (Bébert se redresse, prend un air dégagé)

 

SCÈNE VI

L’extraterrestre arrive et salue poliment de la tête. Bébert le regarde avec un brin d’étonnement : il est habillé d’un grand manteau écossais, d ‘une casquette assortie. En fait, avec la pipe, il ressemble très exactement à Sherlock Holmes.

PAVATAVATTE JUNIOR – Good evening, Sir. Very happy to meet you ! May I present...

BÉBERT – Heu, vous savez, je crois que vous faites une petite erreur. Nous ne sommes pas en Angleterre, ici, nous sommes en France.

PAVATAVATTE JUNIOR – En France ? Aoôh... what the bloody hell... (il réfléchit un instant) Voulez-vous m’excuser, je vous prie ?

BÉBERT – Mais comment donc. (Pavatavatte salue, tourne les talons et sort)

 

SCÈNE VII

BÉBERT – Ben, le voilà reparti. Qu’est-ce que je lui ai fait ? Et qu’est-ce qu’elles font, les deux filles ? Si elles ne se dépêchent pas, elles ne le verront même pas, 1’extraterrestre. Et à qui est-ce qu’elles viendront le reprocher ? À Bébert, naturellement ! C’est encore moi qui me ferais engueuler. Tiens ! Le voilà qui revient, l’autre bizarre. Mais qu’est-ce qui lui a pris ? Il a changé de costume ?

 

SCÈNE VIII

Pavatavatte revient avec une veste en laine de petit retraité, un béret basque, une moustache, une baguette de pain sous le bras.

PAVATAVATTE JUNIOR – Bonjour, mon jeune ami ! Beau temps, n’est-ce pas, pour la saison ? Un soleil comme celui-là, ça vous rajeunit de vingt ans !

BÉBERT – Bof, moi, vous savez, il n’y a que la pluie qui me gêne, parce que ça fait gripper mes roulements á billes. Le reste, je m’en fiche... Alors comme ça, vous êtes en balade ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Petite promenade en effet ! Permettez-moi de me présenter : Pavatavatte junior, fils de Pavatavatte senior, pour vous servir. (il s’incline, deux doigts sur le bord du béret, se redresse, puis s’approche discrètement) Dites-moi... pour le costume, ça va, cette fois-ci ?

BÉBERT – Pardon ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Le costume ! Je ne me suis pas trompé, cette fois-ci ? il est bien ?

BÉBERT – Il est bien, mais ça fait un peu vieillot, tout de même. Où est-ce que vous l’avez trouvé ?

PAVATAVATTE JUNIOR. – Vieillot ? J’ai pris le modèle au service de la Documentation galactique. Ça ne va pas, alors ?

BÉBERT – Très franchement, non. C’est dépassé.

PAVATAVMTE JUNIOR – Ah ! Je suis confus. Peut-être aurais-je dû consulter le service de Mise à jour ?

BÉBERT – Peut-être bien.

PAVATAVATTE JUNIOR – J’y retourne. Si vous pensez que...

BÉBERT – C’est à vous de voir. Mais là, je vous assure, c’est dépassé.

PAVATAVATTE JUNIOR – Bien. Vous me pardonnerez si je vous laisse un instant ?

BÉBERT – Je vous en prie. (Pavatavatte junior sort)

 

SCÈNE IX

BÉBERT – Bon, c’est pas tout ça, mais qu’est-ce qu’elles font, les filles ? Parce que moi, j’irais bien faire une petite sieste. Et avec tout ça...

 

SCÈNE X

Laure revient, tout excitée, mais les mains vides.

LAURE – Alors ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Framboise n’est pas là ?

BÉBERT – Non, elle n’est pas là. Quant à l’extraterrestre, c’est un drôle de type. Il est venu, il est reparti, il est revenu, il est encore reparti. Mais il va revenir.

 

SCÈNE XI

FRAMBOISE, qui arrive – Qui ça ? Qui va revenir ?

LAURE – L’extraterrestre.

FRAMBOISE – Tu 1’as vu ?

LAURE – Mais non ! J’étais partie chercher des jumelles. Je ne les ai pas trouvées, d’ailleurs. Et toi, ton grand-père ?

FRAMBOISE – Il n’est pas là. Ils sont partis au village faire des courses. Alors il va revenir, l’extraterrestre ?

BÉBERT – Oui, oui, il revient tout de suite. Bon, eh bien moi, si vous n`avez plus besoin de moi, je vais aller faire une petite sieste. J ‘ai de la fatigue qui s’accumule.

LAURE – Non, non, tu restes ici, on a besoin de toi !

FRAMBOISE – Laure ! On nous croira jamais. Il faut faire des photos !

LAURE – J’ai mon appareil ! Il est dans ma valise ! On va envoyer Bébert le chercher.

BÉBERT – Eh ! Pourquoi moi ?

FRAMBOISE – Ne discute pas. Va vite à la maison chercher l’appareil de Laure ! Vite !

BÉBERT – J ‘en ai vraiment marre ! C’est moi qui fais tout, ici ! On ne peut pas me laisser tranquille deux minutes ?

LAURE – Bébert, dépêche-toi ! Tu es programmé pour obéir, alors obéis, c’est tout ! (il sort)

 

SCÈNE XII

Les deux filles ne tiennent pas en place, scrutent vers la soucoupe, n’osent pas s’approcher.

LAURE – Est-ce que tu te rends compte, Framboise, que nous allons rencontrer un extraterrestre ? La première rencontre, peut-être, entre des habitants de planètes différentes ! Tu te rends compte ? Et c’est sur nous que ça tombe !

FRAMBOISE – Je te laisse parler, Laure, je ne saurais vraiment pas quoi dire. Je suis déjà à moitié paralysée !

LAURE – D’accord. Surtout qu’il va falloir faire très attention. Chaque mot, chaque geste va compter. La moindre confusion, la moindre erreur d’interprétation pourrait avoir des conséquences... terribles !

FRAMBOISE – C’est vrai !

LAURE – En tout cas, pour ta rédaction, pas la peine d’aller chercher plus loin : le voilà.

FRAMBOISE – Le voilà ?

LAURE – Ton personnage à décrire, le voilà.

FRAMBOISE – Oui, le voilà.

LAURE – Framboise...

FRAMBOISE – Oui ?

LAURE – Le voilà !

FRAMBOISE – Qui ?

LAURE – L’extraterrestre !

FRAMBOISE – Ben oui, c’est ce que je viens de dire.

LAURE – Quand ça ?

FRAMBOISE – Quand je t’ai dit « le voilà ››.

LAURE – Tu m’as dit « le voilà ›› ?

FRAMBOISE – C’est même toi la première qui a dit « le voilà ››, et moi je t’ai répèté « oui, le voilà ››.

LAURE – Ah oui, mais je parlais de la rédaction. Je t’ai dit : « le voilà, ton personnage ››.

FRAMBOISE – Ben oui, le voilà.

LAURE – Mais le voilà !

FRAMBOISE. – Quoi ?

LAURE – Il arrive !...

 

SCÈNE XIII

Il arrive en effet, et les deux filles restent un instant saisies par sa tenue, sweat à capuche, jean troué, lunettes de soleil sur le front. Laure se reprend la première. Elle esquisse un profond salut, se racle la gorge, et commence avec dignité :

LAURE – Ami étranger, c’est en amies, et avec émotion, que nous te saluons, au nom de l’humanité toute entière, au nom de tous les peuples de la terre. Mon nom est Laure, et voici Framboise. Nous appartenons toutes les deux à l’espèce humaine, qui est la première race intelligente de la planète. La race humaine est composée de deux sexes, le sexe masculin et le sexe féminin. Il y a aussi des situations intermédiaires, mais bon, heu, c’est un peu compliqué. Nous appartenons toutes les deux, Framboise et moi, au sexe féminin, bien que nous soyons jeunes encore.

FRAMBOISE – En quelque sorte, nous sommes des jeunes filles.

PAVATAVATTE JUNIOR – Whoua, les nanas, arrêtez un peu le délire, je commence à fatiguer !

LAURE, à Framboise – Qu’est-ce qu’il dit ?

FRAMBOISE – Je crois que ce n’était pas la peine, Laure. Heu... Laisse-moi faire. (à Pavatavatte junior) Comment vous vous appelez ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Moi ? Pavatavatte junior ! Dis-donc, ta copine, elle a l’air d’avoir des sacrés ratés dans la dynamo !

FRAMBOISE – C’est pas grave, ça va lui passer... Alors comme ça, vous arrivez d’une autre planète ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Ouais ouais, par là. (il montre un point dans le ciel) Le troisième système après Acturus.

LAURE – Mais vous êtes une sorte d’ambassadeur, ou quelque chose comme ça ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Ça va vraiment pas, la tête ! Je ne suis pas un ambassadeur !...

LAURE – Heu, un explorateur ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Elle est too much, celle-là ! J’me balade, c’est tout ! Je suis en vacances. Et j’ai une espèce de devoir à faire... Attendez, vous allez voir. (il se fouille, sort un objet noir étrange, lit dessus) Écoutez ça, « vous visitez une planète voisine, où vous rencontrez des indigènes curieux ou intéressants. Décrivez votre rencontre, en soulignant les aspects les plus originaux. ›› Vu ? Et c’est pas le genre de truc qu’on peut faire faire par un quelconque cerveau-bloc ! Alors je suis parti vite fait pour le premier système solaire venu, et j’ai cherché un bout de planète pas trop vilaine pour poser mes lattes. Et voilà ! Et maintenant, c`est pas que je m’ennuie, mais il me faut deux ou trois détails pour mon devoir. Vous n’avez pas quelque chose d’intéressant à me dire, pour changer ?

FRAMBOISE – Heu, vous n’avez pas assez travaillé pendant le trimestre ?

PAVATAVATTE JUNIOR – Voilà qui est fin ! Voilà qui est spirituel !... Eh bien, si vous n’avez rien de plus intelligent à dire, je vais me casser. Salut les nanas ! Et pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin ! (il fait un grand signe de la main, va pour sortir, mais revient demander en douce) Ça allait, le costume, cette fois-ci ?

LAURE – Hein ? (il la regarde, hausse les épaules, n’insiste pas)

PAVATAVATTE JUNIOR – Bye ! (il sort)

 

SCÈNE XIV

Les deux filles sont restées interdites, à le regarder partir. Enfin, elles commencent à se remettre du choc.

FRAMBOISE – Eh bien !

LAURE – Tu veux que je te dise ?

FRAMBOISE – Quoi ?

LAURE – On nous croira jamais.

 

SCÈNE XV

Arrive Bébert tout essoufflé, avec l’appareil photo de Laure à la main.

BÉBERT – Le voilà, ton appareil photo. J’ai eu de la peine à le trouver, parce qu’il n’était pas dans ta valise, comme tu l’avais dit. Il a fallu que je cherche partout dans la chambre, dans l’armoire, sur le bureau, sous le lit... Finalement, il était dans la salle de bains, on se demande bien pourquoi.

FRAMBOISE – Tu peux le remporter, ton appareil, on n’en a plus besoin.

BÉBERT – Comment ?

LAURE – On n’en a plus besoin. Il est reparti, Pava... machin.

FRAMBOISE – Pavatavatte junior. Tu ferais mieux d’aller t’occuper des devoirs, maintenant.

BÉBERT – Ça alors ! Ça alors, c’est formidable, ça ! Je fais tout le travail, je me décarcasse, je cours toute la journée, Bébert par-ci, Bébert par-là, Bébert les devoirs, Bébert la soucoupe volante, Bébert l’appareil photo ! Il en a assez, Bébert, il en peut plus ! Il trouve que vous êtes de véritables tyrans ! Depuis que je suis avec vous, je n’arrête pas et je suis toujours fatigué ! Vous voulez que je vous dise ? C’est pas une vie, même pour un robot ! Moi j’arrête ! Je démissionne ! Je crée un syndicat et je fais la grève ! Je... Je...

FRAMBOISE – Bébert ! Bébert !

BÉBERT, d’une petite voix – C’est vrai, quoi ! C’est moi qui fais tout, et je n’ai jamais un mot gentil, un remerciement, un petit geste... c’est pas humain ! Vous voulez que je vous dise ? Personne ne m’aime !

FRAMBOISE – Mais non, Bébert !

LAURE – Mais si, Bébert !

FRAMBOISE – Allons, c’est pas vrai, ce que tu dis ! On t’aime bien, on t’aime beaucoup !

BÉBERT – C’est vrai ?

LAURE – Mais oui ! Allons allons, c’est fini ! (Bébert renifle fort)

FRAMBOISE – Tu sais ce que je vais faire, mon petit Bébert ? Je vais faire la rédaction sur toi ! Je vais te décrire, et je vais dire combien tu es le plus beau, le plus gentil, le plus aimable, le plus adorable de tous les petits robots !

LAURE – Et l’extraterrestre ?

FRAMBOISE – Il était vraiment trop bizarre. Personne ne croira à un extraterrestre à moitié cinglé. Je n’ai pas bien compris d’ailleurs ce qu’il était venu faire ici… Oublions-le, et parlons plutôt de notre gentil robot. D`accord ?

LAURE – D`accord ! Tu veux bien, Bébert ?

BÉBERT, somnolent – Hein...?

FRAMBOISE – Qu’est-ce qu’il a ? Bébert ? Bébert ?

LAURE, elle le secoue – Ohé ! Bébert !... J’ai l’impression qu’il dort. Réveille-toi ! (elle le secoue encore)

FRAMBOISE – Ah, zut ! Ça recommence ! Il est en panne, comme l’autre jour.

BÉBERT, avec une voix enregistrée d’hôtesse – Clic. Attention. Attention. L’exemplaire de robot positronique qui est en votre possession vient d’être victime d’une interruption momentanée de ses fonctions. Cette interruption est automatique dès que l’un des circuits principaux est en surcharge. Nous vous conseillons de manipuler votre robot avec la plus grande précaution, et d’écouter très attentivement les instructions suivantes : vérifiez tout d’abord les blocs de fusibles ABM, ABX et XT, en utilisant de préférence la trousse à outils d’origine. Vérifiez également la charge et le bon fonctionnement des batteries. En cas de panne non décelable, veuillez consulter un réparateur agréé, et ne pas tenter de procéder vous-même à une réparation. Vous risqueriez de provoquer des dommages irréparables, et de perdre le bénéfice de la garantie. Merci. Clic.

FRAMBOISE – Et voilà ! C’est la même chose ! Plus de Bébert pendant trois jours, au moins. Et on va encore nous accuser de l’avoir surmené !

LAURE – Pffuuiii ! Moi aussi, je suis surmenée. Je vais faire comme Bébert. C’est vraiment fatiguant, ces vacances. Toutes ces rencontres, ces événements...

FRAMBOISE – Ouais... finalement, tu sais, Laure... ?

LAURE – Oui ?...

FRAMBOISE – Vivement l’école !

 

FIN

 

 

Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.

Ils sont disponibles aujourd'hui, avec la comédie "Trois Filles d'Êve", dans le recueil "Le Théâtre de Bernard Sallé pour la jeunesse", publié par Kindle Amazon.

Les représentations données gratuitement sont libres de droits. Si elles sont payantes, une déclaration est nécessaire à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), avec le paiement de droits (minimes). Les sketches sont déjà enregistrés à la SACD, et la procédure est simple.

Pour obtenir sur ce présent site le texte en téléchargement (et gracieusement), faites une demande à la page CONTACT.