Melpomène
MELPOMÈNE
Texte complet
Melpomène – Je suis... Melpomène. Mon nom ne vous dit rien ? Il est pourtant très ancien. Je suis une muse, la muse Melpomène.
Ma mère s’appelle Mnémosyne, et mon père n’est autre que le grand Zeus foudroyant, maitre des airs et de l’Olympe. Nous sommes neuf sœurs, nous sommes les muses, et nous présidons aux activités de l’esprit des hommes.
Mes sœurs sont les inspiratrices des poètes, des musiciens, des danseurs, des historiens, des astronomes, des tribuns. Moi je suis Melpomène, la muse du théâtre.
Nous avons notre place à l’Olympe, le séjour des immortels. Oh, pas une grande place, il est bien rare que nous soyons conviées à la grande table des banquets, la où se rassemblent Zeus, le père des dieux et des hommes, Héra son épouse au caractère ombrageux, Apollon notre protecteur, le maître suprême des arts, Arès et Artémis, les jumeaux guerriers, lui le dieu de la guerre, elle la déesse de la chasse, Athéna, la déesse aux yeux pers, à l’intelligence vive comme l’abeille, Hermès, le dieu voyageur, dieu des commerçants et des voleurs, et enfin Aphrodite, la plus belle, déesse de l’amour, qui fait s’interrompre les conversations quand elle entre de son pas glissant dans la salle des banquets.
Notre place à nous n’est pas à l’ordinaire en compagnie de ces dieux-là. Nous restons près des portes, sur le marbre frais, à murmurer entre nous les secrets de nos arts, à chanter a neuf voix une mélodie du poète Orphée, à deviser avec Chiron, le centaure, de cet art nouveau, la médecine. Nous sommes discrètes, nous sommes modestes dans la demeure des dieux, mais nous sommes d’une si grande importance dans l’esprit des hommes...
Moi, Melpomène, j’ai donne aux hommes la substance de leurs rêves, la vie de leurs espoirs, la pérennité de leur imagination…
Je leur ai donné le théâtre...
Une autre voix – Le premier homme, il y a trente siècles, qui s’est drapé d’une toge et qui, le visage barbouillé de rouge, est monté sur une estrade pour déclamer quelques vers, celui-là, sans le savoir, a été le premier de tous les comédiens.
Melpomène – Je le sais bien, c’était un Grec. L’estrade était le parvis d’un temple dédie à Apollon – ou à Dionysos, je ne sais plus. C’est moi qui avais inspiré cet homme-là. Il a fait rire la foule. Puis il l’a fait pleurer. Et puis il l’a fait rire encore. Et le public enthousiaste a trouvé un geste nouveau pour le remercier : il a frappé l’une de ses mains contre l’autre, et le claquement de toutes ces mains est monté jusqu’à l’Olympe. Zeus a froncé son noir sourcil, et a demandé :
« Qui a provoqué cette chose ? »
J’entendais, moi aussi, ce bruit nouveau. J’ai balbutié :
« C’est moi, la muse Melpomène. »
Il a grommelé quelque chose, quelque chose dans le genre : « Tiens donc, il faudrait que je voie cela de plus près... »
Je n ai plus rien dit. Je le sais bien, moi, que le théâtre est l’affaire des hommes, pas celle des dieux. Les dieux ont l’éternité pour eux, et leurs jeux, leurs amours, leurs querelles. Les hommes ont bien le droit de jouer un peu aux dieux, eux aussi, en jouant avec le théâtre...
Une voix – Et tout de suite, il y eut Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane... Les plus grands textes, les plus beaux, les plus simples...
Melpomène – Quelle émotion, pour ces premiers comédiens, de s’avancer devant des amphithéâtres de dix mille, vingt mille personnes...
Une voix – Et les applaudissements crépitent encore, cet hommage du public qui récompense du talent, de la peur, de l’effort...
Une voix – Quel talent que celui de ces artistes que nous avons oubliés, et de ceux dont nous nous souvenons encore, Coquelin, Sarah Bernhardt, Dullin, Jouvet, Michel Simon, Gérard Philipe...
Une voix – Et quel talent que celui de ces auteurs, qui ont mis leur âme dans des mots, et qui nous ont révélé la vraie nature des hommes !
Une voix – Le rideau s’ouvre, les lumières s’allument, une mince silhouette s’avance... Sous le costume, sous le maquillage, un pauvre comédien transpire et tremble...
Melpomène – Mais je suis avec lui et je le porte, le transporte, le transfigure...
Une voix – Et il devient Darius le Grand, Œdipe, Richard III, Hamlet, le Cid, Dom Juan, Figaro, Ruy Blas, Cyrano, Faust, Caligula...
Une voix – Et la comédienne devient Électre, Antigone, Hélène de Troie…
Melpomène – Lady Macbeth, Juliette…
Une voix – Chimène, Agnès, Esther, Bérénice, Jeanne d’Arc ou mère Courage...
Une voix – Et jusqu’à quels sacrifices n’iront-ils pas, pour accéder a ces rôles prestigieux, pour revêtir ces défroques immortelles et les faire revivre, une fois encore, une fois de plus...
Melpomène – Je vous ai donné tout cela, moi, Melpomène. Et chaque fois que les projecteurs s’allument, que les planches s’ébranlent sous un nouveau pas, je viens, discrète, apporter un peu de la magie des dieux.
Une voix – Même aux plus modestes ?
Melpomène – Qu’importe l’endroit, la simplicité des moyens. Je les regarde avec tendresse, ces jeunes comédiens, qui n’ont pas moins de mérite.
Une voix – Et aux plus grands ?
Melpomène – Aux plus grands, moi, l’humble muse, je leur donne la récompense suprême.
Une voix – La récompense suprême ?
Melpomène – Aux comédiens les plus inoubliables, j’accorde, moi, parmi les étoiles et dans la mémoire des hommes, j’accorde l’immortalité.
Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.
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