Dure, la rentrée

 

DURE, LA RENTRÉE

Texte complet

 

Sur le chemin de retour de l’école. Deux garçons qui se croisent, l’un qui se retourne :

FRANK – Salut.

BRUNO – Ah, c’est toi ! Salut. Dis-donc, je m`étais demandé... T`es plus au lycée Victor-Hugo, cette année, je ne te vois plus ?

FRANK – Ben non, je suis au cours Humbert, depuis la rentrée.

BRUNO – Qu`est-ce que c`est que ça, le cours Humbert ?

FRANK – C’est une... une école spéciale, avec la moitié des cours en anglais. Tu comprends, c’était un des vieux regrets de mon père. Il aurait aimé faire une école comme ça quand il était jeune.

BRUNO – Ah bon, c`est pour ça ! Je me demandais si tu avais déménagé, ou un truc comme ça.

FRANK – Non non.

BRUNO – Et ça te plaît, ton école ?

FRANK – Bof, c’est surtout pour faire plaisir à mon père, tu sais... Il fait une espèce de crise, depuis quelques mois, il se voit vieillir, il l’accepte mal, alors il fait une identification bizarre, il reporte sur moi des machins qu’il aurait aimé faire... Tu le verrais, le soir, il prend mes cours en anglais, il essaie de comprendre quelque chose... C’est touchant. Il m`a piqué mon Circuit 24, aussi. Tu vois le genre. Enfin ! Sinon, ça va. On a pas mal de boulot, mais ça va.

BRUNO – Nous aussi on a du boulot. Mais j`étais bien content de rentrer quand même. Mes parents sont dingues de leur club spéléo, il n’y a plus que ça qui compte. On s’est tapé les vacances en Corrèze, sous la tente. Eux, ils étaient tout le temps fourrés dans leurs trous. Pas nous, évidemment, c’était trop dangereux. Si : une fois, je suis descendu. Je me suis chopé un rhume. Le soir, ils rentraient à des heures pas possibles. On les attendait, on ne mangeait jamais avant la nuit... Et puis ils sont restés bloqués par un orage, l’eau avait monté partout. On n`avait aucune nouvelle, impossible de rien savoir, c’était vraiment l`angoisse... Il a fallu prévenir les gendarmes, et puis des équipes spéciales de pompiers, qui râlaient en disant qu’ils avaient été vraiment trop imprudents... Enfin, on les a retrouvés. Trempés, grelottants, crevés, assez secoués, quand même. Ils en rigolent, maintenant, mais t`aurais vu leurs têtes quand ils sont sortis... Ce qui m`inquiète, c`est qu’ils veulent recommencer l’an prochain... Avec ma sœur, on essaie de les orienter vers autre chose, mais...

FRANK – Ben moi, ça s’est plutôt bien passé, on était au bord de la mer. C’est des fous de la plage, ils veulent en profiter au maximum. Mais enfin, moi j’emportais toujours un ou deux bouquins et un vieux parasol, ça me passait le temps. Après, ils ont découvert qu’il y avait une plage naturiste à côté, un truc comique avec tout le monde à poil. Du coup, on n`allait plus que là. C’était encore plus rigolo quand le temps a changé : ils enfilaient tous des tee-shirts et des pulls, mais il y en a pas un qui aurait remis sa culotte ! Non, l’été, c’était bien. C’est à la rentrée que ça s’est gâté, surtout avec ma mère. Elle a changé de service dans son boulot, et elle ne s’entend pas du tout avec son nouveau chef. Tu verrais, elle fait une véritable fixation, c`est dingue. Elle ne peut pas le supporter, mais elle ne parle que de lui, ne pense qu’à ça. Elle mange plus, elle dort plus, un de ces jours, elle va craquer. On essaie bien de la raisonner, mais rien à faire... Quand à trouver un autre boulot... Elle avait même pensé à s’arrêter, tout simplement, mais j’ai fait un rapide calcul, et on en a parlé, moi et mes parents : avec un seul salaire, on ne s’en sort pas. Surtout avec ma nouvelle école... Le résultat, c`est que ce n’est pas la joie à la maison.

BRUNO – Tu sais, ma mère aussi avait fait un truc comme ça, il y a un ou deux ans. Elle était avec une collègue qu`elle ne supportait pas. On avait fini par inviter la collègue à dîner à la maison, avec son mari. Ma mère était très tendue. Et puis ils ont pris l’apéro, ils ont bien dîné, finalement, ça s’est à peu près arrangé. Surtout que le mari, lui, était très sympa.

FRANK – C’est pas bête. Faudrait que j’en parle à mon père. Mais c’est un peu le problème, de parler calmement de quelque chose en ce moment... entre ma mère hystéro et mon père complétement régressif...

BRUNO – Oui, c’est pas facile... (il fait un salut de la main à quelqu’un, qui passe, par exemple, sur le trottoir d’en face, mais qu’on ne voit pas) Mais peut-être qu`il ne faut pas trop se plaindre : regarde Arthur, par exemple...

FRANK – Arthur Morin ?

BRUNO – Oui, ses parents sont en train de divorcer. Ça traîne, parce qu`ils ne veulent ni l’un ni l`autre de la garde des enfants. Sa mère est partie, son père n’est jamais là, il vit chez quelqu’un d’autre, alors c’est Arthur qui fait tout : il s’occupe de ses petites soeurs, il fait les courses, la bouffe, les lessives... Il y a quelqu`un qui vient faire le ménage, quand même. Et il se plaint pas. Finalement, il n’a personne sur le dos !

FRANK – Ouais. Moi j’attends Noël avec impatience.

BRUNO – Pourquoi ? Tu t`en vas ?

FRANK – J’ai trouvé une espèce d`organisation, qui fait des stages de vacances... Il n`y a rien que des jeunes, pas d’adultes. Et les activités ont l’air intéressantes...

BRUNO – Ah bon ? On peut encore s’inscrire ?

FRANK - Je crois, oui.

BRUNO – Tu me donneras l’adresse ?

FRANK - Je ne l’ai pas là, mais je te l’envoie.

BRUNO – O.K. Merci ! Et toi, pense au truc du dîner.

FRANK - Oui, c`est pas mal. Allez, faut que je rentre chez moi. Bon courage !

BRUNO – Moi aussi, faut que je rentre. Et bon courage à toi aussi.

Et ils se quittent, ployant sous le poids des responsabilités.

 

 

Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.

Ils sont disponibles aujourd'hui, avec la comédie "Trois Filles d'Êve", dans le recueil "Le Théâtre de Bernard Sallé pour la jeunesse", publié par Kindle Amazon.

Les représentations données gratuitement sont libres de droits. Si elles sont payantes, une déclaration est nécessaire à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), avec le paiement de droits (minimes). Les sketches sont déjà enregistrés à la SACD, et la procédure est simple.

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