La Peste et le Pêcheur
LA PESTE ET LE PÊCHEUR
Texte complet
Le Pêcheur est installé face aux spectateurs avec tout son attirail, épuisette, boîte, seau et la canne à pêche, qu’il tient fermement à deux mains. À côté de lui, un carton blanc avec un numéro, 29. Arrive la Peste, avec un joli chapeau à fleurs, un grand panier d’osier et un parasol.
LA PESTE – Bonjour !...
LE PÊCHEUR, qui n’a pas 1’air bien ravi de la voir – Hmmff.
LA PESTE – Oh ! Qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes à la pêche ?
LE PÊCHEUR – Ça se voit, non ?
LA PESTE – Et qu’est-ce que vous attrapez ? Des poissons ?
LE PÊCHEUR – Ben évidemment ! Il y a que dans les dessins animés que l`on attrape des vieilles chaussures.
LA PESTE – Et vous en avez attrapés beaucoup ?
LE PÊCHEUR, réservé – Ça commence.
LA PESTE, qui se penche sur le seau – Ooooh ! Ça en fait, déjà !
LE PÊCHEUR – Chut ! Taisez-vous ! Vous allez effrayer le poisson !
LA PESTE – Bof, vous savez, ceux-là ils ne craignent plus rien : soit ils sont morts, soit ils sont déjà complétement effrayés !
LE PÊCHEUR – Je ne parle pas de ceux-là ! Je parle de ceux qui sont dans la rivière !
LA PESTE – Ah bon. (un silence. Elle va jusqu’à la rivière, regarde avec pénétration, reprend sur un ton un peu plus bas) Mais vous n`en avez pas assez ?
LE PÊCHEUR – De quoi ?
LA PESTE – Des poissons ! Vous n`avez pas assez de poissons pour votre déjeuner ? Avec tout ça ?
LE PÊCHEUR, expliquant patiemment – Je participe à un concours de pêche. Le but de ce concours, évidemment, c’est d’attraper le plus de poissons possible. Voilà. Et maintenant, si ça ne vous dérange pas...
LA PESTE – Ça mord !
LE PÊCHEUR – Quoi ?
LA PESTE – Votre petit truc, là, sur la ligne, il a bougé !
LE PÊCHEUR – Le bouchon ? Mais non, il remue un peu, c`est tout, c’est normal, la rivière bouge, quand même ! Quand un poisson mord, c`est complètement diffèrent : le bouchon plonge, ou bien il se couche. Là, c’est juste un mouvement de la rivière.
LA PESTE – Ah bon. (elle regarde autour d’elle, et pouf !, elle s’assoit par terre)
LE PÊCHEUR – Vous... vous n’allez pas rester là ?
LA PESTE, pleine d’innocence – Si, pourquoi ?
LE PÊCHEUR, inquiet – Pour rien, pour rien... Vous ne pouvez pas vous mettre un tout petit peu plus loin, quand même ?
(la peste se relève, mesure scrupuleusement un pas et demi supplémentaire, pose son parasol, son panier. Le Pêcheur regarde fixement sa ligne, bien décidé à l’ignorer. Elle s’assoit)
LA PESTE – Aïe !
LE PÊCHEUR, sursautant – Qu’est-ce qu’il y a ?
LA PESTE – Je me suis assise sur un chardon.
LE PÊCHEUR – Ah bon. Désolé pour vous.
LA PESTE – Ça pique ! (pas de réaction. Elle se masse les fesses, regarde autour d’elle, semble chercher quelque chose. Le Pêcheur ne tombe pas dans le piège et reste obstinément sur son bouchon. Alors elle prend dans son panier une revue, qu’elle commence à feuilleter. Le Pêcheur pousse un léger soupir) C`est quoi votre signe ? (il fait comme s’il n’avait pas entendu) Votre signe ? Votre signe zodiacal ?
LE PÊCHEUR – Pourquoi ?
LA PESTE – Je vais vous lire votre horoscope ! On ne sait jamais ! peut-être que vous devez réussir dans vos entreprises, ou bien faire une rencontre intéressante !
LE PÊCHEUR – Écoutez. Écoutez-moi bien : je ne veux pas de votre horoscope. D’abord je n’y crois pas.
LA PESTE – Ah bon ? Mais pourtant le...
LE PÊCHEUR, très énervé, tout à coup – Laissez-moi parler !
LA PESTE – Chut ! Le poisson !
LE PÊCHEUR, très calme – S’il vous plaît. Je ne veux pas de votre horoscope. Je veux continuer de pêcher en paix. Depuis que vous êtes arrivée, je ne prends plus rien. Cet endroit est l’un des meilleurs de la rivière. Je me suis levé très tôt pour le réserver, et j’ai attendu patiemment l’heure du début du concours. C’est essentiel, un bon endroit. Mais vous ne pouvez pas comprendre, je suppose. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas du tout vous occuper de moi. Je ne peux pas vous empêcher de vous installer ici, mais je vous en prie, fichez-moi la paix. Ignorez-moi. En silence. Faites comme si j’étais pas là. D`accord ?
LA PESTE – Bon. Très bien. (elle ne bouge plus du tout, le regard fixe. Vaguement inquiet, il la surveille du coin de l’œil. Mais elle ne bouge décidément pas. Un peu rassuré, il revient à sa ligne. Mais .soudain elle fronce les sourcils, porte lentement la main à sa tête, regarde tout aussi lentement autour d’elle, puis se met à quatre pattes, se met à chercher. Le Pêcheur ferme les yeux, demande d’une voix sourde :)
LE PÊCHEUR – Qu’est-ce qu’il y a encore ?
LA PESTE – J`ai perdu ma barrette. Une petite barrette dorée. C’est ma grand-mère qui me l`avait donnée... Vous ne l’avez pas vue ? Grande comme ça. Une petite barrette toute simple, quoi, mais dorée...
LE PÊCHEUR, en retirant sa ligne de l’eau – Ça va. J’ai compris.
LA PESTE – Où est-ce qu’elle aurait pu tomber ? Dans les poissons ? (il se lève, rassemble son matériel) Mais qu’est-ce que vous faites ?
LE PÊCHEUR – C’est le destin. Tout marchait trop bien. Pas la peine de lutter...
LA PESTE – Qu’est-ce que vous faites ?
LE PÊCHEUR – Je m’en vais. M’en vais me recoucher. Aurais jamais dû en sortir, de mon lit, ce matin. (il s’en va)
LA PESTE – Eh ! Et vos poissons ?
LE PÊCHEUR – Mangez-les. Faites-en ce que vous voulez.
(il sort. Elle reste un peu interloquée. Puis fait un grand geste de fatalité. Du coup, elle vient prendre la place du Pêcheur)
LA PESTE – Il n’avait pas l’air en forme, le pauvre garçon. Je ne sais pas s’il aurait eu des chances de gagner. Il faut avoir de la santé, tout de même ! (des plis de son parasol, elle sort les éléments d'une canne à pêche. Et de son panier, un numéro, 117)
FIN
Les sketches de Bernard Sallé, publiés dans les magazines des éditions de Fleurus, puis à la Librairie Théâtrale, sont disponibles pour les troupes amateurs ou professionnelles.
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