La Nuit de l'épouvante
LA NUIT DE L’ÉPOUVANTE
Texte complet
Sophie et Julie sont en pyjama, toutes seules, toutes les deux, dans un grand lit sur la scène. Elles sont assises, adossées, et n’ont pas l’air de dormir du tout. En fait, elles ont l’air terrorisées. C’est la chambre de Sophie, il est minuit, tout baigne dans une demi-obscurité inquiétante.
JULIE, brusquement – Sophie ?...
SOPHIE – Ha ! Tu m’as fait peur ! Qu’est-ce qu’il y a ?
JULIE – Arrête, dis pas ça, ça me fait peur !
SOPHIE – Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?
JULIE – Quoi ?
SOPHIE – Pourquoi tu m’appelais ?
JULIE – Rien, rien, je voulais juste savoir si tu dormais.
SOPHIE – Non je ne dors pas. (un temps) Et toi ?
JULIE – Non. (elle regarde tout autour, tendue comme une corde de piano)
SOPHIE – Si ça continue comme ça, tu sais, je ne vais pas dormir de la nuit !
JULIE – Si c’est moi qui te gêne, dis-le.
SOPHIE – Mais non, et même, je crois que si tu n’étais pas restée à la maison, je serais morte de frousse.
JULIE – De toute façon, je n’aurais jamais eu le courage de ressortir pour rentrer chez moi... Je me serais évanouie au premier coin de rue...
SOPHIE – Chut.
JULIE – Quoi ?
SOPHIE – Julie ?
JULIE – Ouais ?
SOPHIE – T’entends rien ?
JULIE – Non... (elles écoutent)
SOPHIE – On n’aurait jamais dû regarder ce film, à la télé...
JULIE – Non... Surtout toutes seules.
SOPHIE – Ouais...
JULIE – Moi, ce qui m’a fait le plus peur, c’est, tu sais, quand le zombie...
SOPHIE, qui se cache la tête sous les couvertures – Tais-toi ! Tais-toi ! (elle n’en peut plus, sort une main, allume la lumière)
JULIE – Qu’est-ce que tu fais ?
SOPHIE – J’allume ! J’ai entendu un bruit !
JULIE – C’est peut-être tes parents ?
SOPHIE – Non non, ils allaient au théâtre et ils dînaient après. Ils vont rentrer très tard.
JULIE – Alors c’est ton frère ?
SOPHIE – Il est à son club informatique, il ne rentre jamais avant une heure du matin. (elles écoutent un instant, dans le plus profond silence, remuent un peu, nerveuses, puis Sophie éteint la lumière)
JULIE – Rallume !
SOPHIE, bougeant dans le lit – Pourquoi...? Qu’est-ce que tu as ? (elle disparaît à moitié sous les couvertures)
JULIE – Arrête ! Me touche pas ! Je vais crier !
SOPHIE, petit rire inquiétant – Je vais te mordre, hé hé hé. Je vais te bouffer le cou...
JULIE – Aaaahh ! ! ! (elle jaillit hors du lit, emportant drap et couverture) Tu es folle ou quoi ?!
SOPHIE – Hé hé hé...
JULIE – Arrête !
SOPHIE – Écoute, c’est pour rire.
JULIE – Ça ne me fait pas rire ! (elle tremble de tous ses membres. Sophie commence à regretter)
SOPHIE – Bon, excuse-moi. Reviens te coucher.
JULIE – Non.
SOPHIE – Je ne recommencerai pas. Reviens.
JULIE – Non.
SOPHIE – Ben alors redonne au moins les couvertures... (un bruit. Un vrai bruit, cette fois. Ce coup-ci, elles ont vraiment peur)
JULIE – Tu as entendu ?
SOPHIE, chuchotant – Oui.
JULIE – Qu’est-ce que c’était ? (elle ne se fait pas prier pour revenir dans le lit auprès de Sophie)
SOPHIE – Je ne sais pas... Je ne sais pas...
JULIE – Rallume !
SOPHIE – Non ! On va se faire repérer. (elle pose un pied par terre, se lève)
JULIE – Qu`est-ce que tu fais !? (elle s’agrippe à Sophie, la suit)
SOPHIE – Je vais écouter. Il y a vraiment quelque chose de pas normal...
JULIE, suivant toujours – C’est vraiment trop idiot d`avoir peur comme ça... D’abord, les zombies, ça n’existe pas…
SOPHIE – En fait, si. J’ai lu un livre qui...
JULIE – Eh bien je ne t’ai pas demandé de m’en parler !
SOPHIE – Chut ! (elles écoutent. Pas de bruit) On n`entend plus rien.
JULIE – Un fantôme ne fait pas de bruit.
Toc toc toc fait la porte. Elles étouffent un cri et s’immobilisent, paralysées. La porte s’ouvre, une main paraît, qui allume la lumière. Et c’est la frimousse sympathique du frère de Sophie.
LE FRÈRE – Vous n’êtes pas couchées, les filles ? (elles se sentent complétement ridicules, agrippées l’une et l’autre aux couvertures devant elles)
SOPHIE – Hé ? Si si, on y allait...
JULIE – Bonsoir, ça va... ?
LE FRÈRE – Ça va. Vous avez regardé le film, à la télé ? On se l’est passé, au club, mais on était déçus. Enfin non : on a bien rigolé ! Le pauvre zombie, le grand, là, le chef, quand il coince la fille dans le couloir…
SOPHIE – Bwaaf !
JULIE – Pffft.
LE FRÈRE – Du coup, comme on ne faisait plus rien d`intéressant, je suis rentré. Allez, je vais aller me coucher, salut !
JULIE – Salut.
LE FRÈRE, avec un petit sourire – Et ne vous en faites pas, les filles, je suis là, maintenant. (il sort. Elles sont mortifiées. Puis elles s’entre-regardent, et retournent se coucher. Même position qu’au tout début. Un temps de réflexion.)
SOPHIE – Ah le salaud !
JULIE – Ouais !
SOPHIE, se recouchant, mais en prenant sa décision – Écoute, tu sais ce qu`on va faire ? On attend une demi-heure, et on va pousser des grognements derrière sa porte !
JULIE – Ouais ! D’accord !...
FIN
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