Jules César
Jules César jouit d'une immense popularité dans la Rome de 44 av. JC. Il est général et sénateur, mais souhaite-il devenir empereur, avec tous les pouvoirs ? Brutus s'en inquiète, mais c'est Cassius, l'ancien ami de César, qui vient attiser ses craintes. Et ils sont plusieurs, maintenant, qui pensent qu'il faut tuer César pour écarter ce danger. Ils exécutent leur forfait, en épargnant Antoine, à qui ils proposent de participer maintenant au pouvoir. Mais Antoine soulève les Romains contre les conspirateurs. Brutus et Cassius fuient et rassemblent une armée. Brutus et Octave lèvent une autre armée et vont les combattre. Mais le fantôme de César hante Brutus, et le sentiment de culpabilité va peser dans l'issue des combats.
Les circonstances de l'assassinat de Jules César sont bien documentées, et Shakespeare, on le sait, passe du temps dans les bibliothèques publiques et privées. Le personnage de Jules César l'intéresse, mais moins que les protagonistes du complot, le noble Brutus et le jaloux Cassius. Quel mécanisme les a poussés à commettre cette exécution publique ? Shakespeare y trouve l'occasion de véritables analyses psychologiques, qu'il ne transforme pas en démonstration. C'est par petites touches que nous découvrons les principaux caractères, comme également celui du fidèle, mais rusé, Antoine. Shakespeare était libre de ses sujets. Il illustre celui-ci, comme une commande qu'il se serait faite à lui-même, et qu'il exécute parfaitement. Le pouvoir attise la jalousie, les peurs, la haine, souvent des plus proches. Jules César, dans son arrogance, se croit inateignable. Il meurt à la moitié de la pièce, mais son ombre va continuer à peser sur les coupables jusqu'au dénouement.
Brutus – Donnez-moi la main, tous, l’un après l’autre.
Cassius – Et jurons d’accomplir ce que nous avons décidé.
Brutus – Non, pas de serment. Si notre conscience d’hommes, la souffrance de nos âmes et les injustices du temps sont des motifs insuffisants, séparons-nous sans plus attendre. Et que chacun retourne à son lit douillet. Laissons alors la tyrannie hautaine se promener à sa guise, jusqu’à ce que chacun de nous tombe, au gré du destin. Mais si ces raisons, comme j’en suis certain, sont assez impérieuses pour enflammer les lâches et pour retremper l’esprit mollissant des femmes, alors, compatriotes, qu’avons-nous besoin d’un autre aiguillon pour notre propre cause, pour nous pousser à la préservation de nos droits ? Quel autre lien est nécessaire, que ce secret gardé par des Romains qui se sont prononcés et qui ne tergiverseront pas ? Quel autre serment que l’honneur engagé envers l’honneur, pour nous voir réussir, ou bien périr ? Laissons jurer les prêtres, les lâches, les fourbes, et ces vieillards décatis, et ces âmes cauteleuses, qui se complaisent dans l’iniquité ! Laissons jurer dans de mauvaises causes ces créatures peu fiables ! Mais nous, ne faisons pas l’affront à notre pure et noble entreprise, à la fermeté de nos âmes, de croire qu’il nous faut un serment. Chaque Romain sait que la moindre goutte qui circule dans ses nobles veines s’abâtardit gravement, s’il manque à la moindre partie d’une promesse sortie de sa bouche.
Cassius – Mais que pensez-vous de Cicéron ? Êtes-vous d’avis de l’approcher ? Je crois qu’il adhérerait immédiatement à notre projet.
Casca – Il ne faut pas le laisser de côté.
Cinna – Non, c’est vrai.
Métellus – Il nous faut Cicéron avec nous. Ses cheveux d’argent nous gagneront la bonne opinion des hommes, et nous achèteront des voix qui salueront notre action. On dira que sa sagesse a guidé nos bras. On oubliera notre jeunesse, notre témérité. Tout sera couvert par son auguste dignité !
Brutus – N’insistez pas. Ne tentons rien auprès de lui. Il n’est pas homme à entre dans une affaire que d’autres auront commencé.
Cassius – Alors laissons-le à l’écart.
Casca – Oui, il n’est pas notre homme.
Décius – Est-ce que nous ne toucherons qu’à César ?
Cassius – C’est une bonne question, Décius. Moi je pense qu’il n’est pas bon que Marc-Antoine, si aimé de César, survive à César. Nous trouverons en lui un intrigant dangereux. Et, vous le savez, ses ressources, s’il les met en œuvre, pourraient s’étendre assez loin pour nous inquiéter tous... Il faut, par précaution, qu’Antoine et César tombent ensemble.
Brutus – Notre conduite paraîtrait bien sanguinaire, Caïus Cassius, si après avoir coupé la tête, nous nous acharnions sur les membres, comme si la haine succédait à la colère meurtrière… Antoine n’est qu’un membre de César. Soyons des sacrificateurs et non des bouchers, Cassius. C’est contre l’esprit de César que nous nous élevons tous, et dans l’esprit de l’homme il n’y a pas de sang. Ah ! si nous pouvions atteindre l’esprit de César sans déchirer César ! Mais, hélas ! pour cela il faut que le sang de César coule... Mes bons amis, tuons-le fermement, mais sans colère. Offrons la victime comme un don fait aux dieux, ne la mettons pas en pièces comme une carcasse bonne à donner aux chiens. Que nos cœurs soient comme ces maîtres habiles qui commandent à leurs serviteurs un acte de violence, et qui semblent ensuite le leur reprocher. Alors notre action semblera venir de la nécessité, et non de la haine. Et si elle paraît telle aux yeux du peuple, nous serons appelés purificateurs, et non assassins. Quant à Marc-Antoine, oubliez-le. Il ne pourra rien de plus que le bras de César, quand la tête de César sera tombée !
Cassius – Je le redoute pourtant. Car cette affection furieuse qu’il a pour César…
Brutus – Allez, mon bon Cassius, ne pensez plus à lui. S’il aime César, cela n’aura d’action que sur lui-même. Il pourra le pleurer et mourir pour César. Et ce serait beaucoup lui demander, car il s’adonne aux plaisirs, à toutes sortes de dissipations et à de nombreuses compagnies.
Trébonius – Il n’est pas à craindre. Ne le faisons pas mourir. C’est un homme qui vivra et qui rira un jour de tout ceci.