BRAZZA et le CONGO

Projet de maquette de couverture

 

(Préface)

Ceci est l’histoire d’une colonisation pacifique menée par un homme seul, incompris en son temps, honoré, puis trahi par son pays d’adoption.

Ceci est l’histoire de peuples qui, en moins d’un siècle, sont passés de la brousse à la ville, du joug tribal au baccalauréat, de l’esclavage à l’indépendance.

Ceci est l’histoire de l’ultime terra incognita de la planète (en dehors, à l’époque, des pôles et des fonds sous-marins). Peut-on imaginer que, jusque dans les années 1870, l’immensité du cœur de l’Afrique était ignorée du reste du monde, qu’on ne connaissait du fleuve Congo que sa colossale embouchure, que nul ne savait d’où venait le Nil ?

Une course à la découverte avait démarré ces années-là, menée par des hommes animés d’intentions nobles ou moins nobles, mais qui ont rivalisé de courage et d’adresse. Et un contact a été brutalement établi entre des explorateurs blancs, dotés de carabines à répétition, et des peuplades dont le mode de vie n’avait pas varié depuis dix siècles... Ceci est aussi l’histoire de cette confrontation, dans sa nue vérité.

Mais surtout, ce livre fera découvrir un homme étonnant et méconnu, Savorgnan de Brazza, né romain, devenu explorateur français, fondateur d’une colonie, et dont la démarche mérite d’être éclairée aujourd’hui alors que les relations entre l’Europe et ces régions africaines n’ont jamais été aussi complexes, ni aussi passionnelles.

 

EXTRAIT

 

“Enfin à 400 m du village de Makoko, Nghia me dit d’attendre là et tandis que nous rôtissons en plein soleil, il s’en va annoncer notre arrivée au village de Makoko. Bientôt après, il reparaît avec un des hommes de Makoko et nous fait dire que Makoko lui a dit pourquoi il avait laissé le Blanc en plein soleil avec la faim et la soif, et ne l’avait pas, sans attendre, amené dans le village ? Voilà des bonnes paroles qui me prévinrent en faveur du chef.

Précédé du clairon et du pavillon français, j’arrivai dans le village, où les cases sont entourées par groupe par des palissades en paille…”

Clairon ? Quel clairon ?... On réalise tout à coup que Brazza, en bon officier, faisait rythmer les journées de l’expédition aux sonneries de clairon. Mais, le clairon, en cette occasion particulière ?... Qui sait jouer du clairon ? Malamine ?...

Quelle image extraordinaire en tout cas, sur le sauvage plateau batéké, sous le soleil implacable de la fin de saison sèche, que celle d’un Brazza maigre, barbu, au pantalon sans doute usé, mais qui arbore un bicorne et une tunique avec épaulettes et boutons dorés, avançant sur un air de fanfare, derrière le drapeau français, suivi de cinq hommes en uniforme portant le fusil comme à la parade !

 

 

Un ami italien me poussait à entreprendre une biographie de son compatriote Brazza (en fait, Brazza était né romain, l’Italie n’existait pas encore). J’avais bien quelques éléments, déjà, mais j’étais partagé, car le personnage était énigmatique, secret, et son image était brouillée. Mais il y avait l’admiration sans borne de ses pairs, Chavannes, Dolisie, Latours, de Jaurès, Clémenceau, de la plupart des gouverneurs, jusqu’à de Gaulle. Et l’amitié avec Malamine. Pouvait-on comprendre ce que cet homme avait suscité ? Pouvait-on analyser clairement son action, retracer son aventure ? J’y suis allé un peu à reculons, prudent avec certains textes trop élogieux, ou passablement déformés. Mais les cahiers tenus au jour le jour par Brazza étaient disponibles, et les très nombreuses lettres. La personnalité réelle de cet homme réservé, mais droit, intègre, passionné, se révélait petit à petit, ainsi que son évolution, de simple explorateur à gouverneur d’un monde nouveau, avec un souci permanent de bien faire, de remplir tout simplement son devoir. La rivalité avec Stanley s’éclairait, et la lutte constante avec les ministères pour développer « sa » colonie. Jusqu’à son renvoi brutal et honteux par jalousie, et  pour servir de bas intérêts. Brazza, humilié, ne s’est guère défendu. Vaguement réhabilité pourtant, il a accepté une mission d’observation pour corriger les erreurs commises derrière lui, en sachant qu’il y laisserait sa vie.

Il était intéressant de rétablir les faits, et la réalité. Il fallait redonner tout le contexte, aussi bien africain que français, et comprendre ce qu’étaient ces colonisations, et cette colonisation particulière.

En fin de compte, Brazza et le Congo est un livre éclairant et nécessaire. Il est passionnant, parce qu’il s’agit d’aventures humaines. Il est utile, parce qu’il rassemble de nombreux documents importants, et qu’il deviendra une référence. Enfin, il est clair et bien rédigé.

J’y ai consacré des années, en sachant que ce travail allait être important pour de nombreuses personnes sur les deux continents.